Reconnu pour offrir généralement des comédies sentimentales au charme suranné, Emmanuel Mouret s'aventure cette fois dans le drame en assumant pleinement le genre. Parce que le désir amoureux, ça peut aussi être grave.

Elle est pianiste classique. Il gagne sa vie en installant des systèmes d'alarme dans les maisons qu'habitent les pianistes classiques. Ils ne sont pas du même monde. Mais ils se laisseront gagner par un désir mutuel irrépressible. On le devine, cette aventure sentimentale laissera des traces dans le coeur d'une tierce personne, amoureuse transie, compagne de celui qui a traversé la frontière d'«une autre vie».

Il y a de la fièvre dans le nouveau film d'Emmanuel Mouret. Il y a aussi du drame, du lyrisme. Et beaucoup de violons.

Quand on lui demande quelle mouche l'a piqué, le cinéaste esquisse un beau grand sourire. Comme un jeune homme timide qui viendrait offrir une bonbonnière à une éventuelle fiancée.

«Je sais que ça peut être étonnant, a-t-il dit au cours d'un entretien accordé à La Presse lors des Rendez-vous du cinéma français, événement organisé annuellement par Unifrance.

«J'ai écrit cette histoire à l'époque de Changement d'adresse et elle était restée dans mes tiroirs. Puis mon producteur m'a suggéré de la ressortir après L'art d'aimer. J'ai trouvé l'idée stimulante. Même lorsque je tourne des comédies, j'essaie quand même de surprendre les spectateurs chaque fois et de marquer des différences. Je trouve aussi important d'explorer des thèmes qui me tiennent à coeur.

«Une autre vie n'a pas été créé avec l'intention ferme de faire un virage. Pas du tout. D'ailleurs, mon prochain film sera une comédie.»

Un triangle amoureux

Contrairement à ce qu'il fait habituellement (il le fera d'ailleurs pour sa prochaine offrande), Mouret ne s'est pas offert de rôle cette fois.

«Dès l'étape de l'écriture, il était clair que je ne jouerais pas dedans, explique-t-il. Un rôle dramatique, ce n'est pas possible pour moi. Je ne peux que faire rire et sourire. Les gens n'y croiraient pas. Et puis, je suis bien trop maladroit pour exercer le métier qu'exerce le personnage. Je ne suis pas un manuel!»

Pour composer son triangle amoureux, l'auteur-cinéaste a fait appel à Virginie Ledoyen, à qui il a déjà donné la réplique dans Un baiser s'il vous plaît. L'actrice prête ici ses traits à l'amoureuse transie, qui tentera comme elle peut d'honorer l'amour qu'elle ressent pour un homme désormais aimé de deux femmes.

Mouret a réuni autour d'elle deux acteurs plus atypiques: l'Italienne Jasmine Trinca (Romanzo criminale, Le Caïman) incarne la pianiste et Joey Starr (Polisse) est l'objet de leur désir à toutes deux.

Joey Starr? Vraiment? L'acteur a jusqu'à maintenant pu faire valoir ses talents d'acteur - excellents du reste - dans des rôles de personnages contemporains, issus de la rue, avec le style langagier qui s'y rattache. On aurait pu avoir plus de mal à imaginer l'ancien rappeur manier la langue de Mouret, plus classique. Et très différente sur le plan du rythme.

«À vrai dire, je ne trouvais pas, indique Emmanuel Mouret. Je savais que Virginie allait jouer le rôle de la femme, mais je ne parvenais pas à lui trouver un bon partenaire.

«Mon producteur - encore lui - m'a alors suggéré de rencontrer Joey. J'ai trouvé l'idée formidable parce que la personnalité de Joey colle bien au personnage. Il a tout de suite accepté, mais il a quand même voulu savoir pourquoi j'avais pensé à lui. Je lui ai expliqué qu'il me faisait penser à Lino Ventura. Et c'est vrai. Comme Ventura, Joey a un côté très doux, très sensible, mais il peut aussi susciter la crainte.

«Joey a immédiatement modulé toutes les facettes du personnage. Je n'ai rien eu à lui dire. Je crois qu'il avait envie de montrer cette facette de sa personnalité d'acteur. Et puis, je ne voulais pas écrire de dialogues trop contemporains pour Joey, car on s'aperçoit que ce langage vieillit très vite. Tout s'est fait de façon très naturelle avec lui.

«J'ai par ailleurs pensé à Jasmine après l'avoir vue dans Ultimatum, un film français dans lequel elle donnait la réplique à Gaspard Ulliel. Il fallait une actrice avec qui le spectateur peut s'attacher, même si elle brise un couple. Je voulais aussi que sa beauté soit différente de celle de Virginie. Pour qu'on ne sache pas trop ce qui fait craquer cet homme.»

Sans sensiblerie

Dans la lignée de films comme La femme d'à côté de Truffaut, source d'inspiration très assumée, Une autre vie emprunte résolument une tonalité grave.

«Je parle avant tout de ce qui m'obsède, de ce qui me trouble et me fascine, fait remarquer Emmanuel Mouret. Cinéphile, je suis tout autant amateur de comédies dialoguées ou burlesques que de films noirs et de drames. L'histoire s'est imposée naturellement. Ensuite, j'ai tenu à évoquer des situations graves sans jouer sur la compassion. Je n'aime pas voir les ficelles quand on me fait pleurer. Je n'aime pas être manipulé. Je ne voulais surtout pas tomber dans le sentimentalisme, encore moins dans la sensiblerie.»

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Une autre vie prend l'affiche le 18 avril. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.