Dans le nouveau film de Philippe Godeau, François Cluzet se glisse dans la peau d'un convoyeur de fonds qui décide de s'enfuir avec l'argent des banques. Un monde intérieur différent pour la vedette d'Intouchables...

D'abord, il convient d'expliquer le titre. 11.6 est la somme, en millions d'euros, avec lesquels Toni Musulin s'est enfui au volant du fourgon blindé dont il avait la charge. En 2009, au lendemain d'une crise financière mondiale dont les banques furent en grande partie responsables, le lascar avait pratiquement été élevé au rang de héros par une partie de la population française. Il purge aujourd'hui, dans des conditions difficiles, la troisième année d'une peine de cinq ans d'emprisonnement. En raison de sa notoriété et du «risque qu'implique qu'il soit avec d'autres détenus», Toni Musulin est en effet placé sous le régime de l'isolement.

Philippe Godeau, qui a fait sa marque en tant que producteur dans le cinéma français avant de passer à la réalisation (Le dernier pour la route), a vu dans cette affaire une occasion d'explorer le destin d'un homme dont la vie bascule. Pour ce faire, il a naturellement fait appel à François Cluzet. Les deux hommes, qui ont tissé un lien professionnel solide grâce au Dernier pour la route, ont ainsi trouvé un projet à travers lequel ils pouvaient de nouveau réunir leurs talents.

«Il était intéressant de tenter d'entrer dans la tête d'un homme apparemment sans histoire, a expliqué l'acteur au cours d'une rencontre de presse tenue récemment à Paris. Pour faire écho au tourment intérieur de ce convoyeur, j'estimais qu'il fallait enlever la plupart des dialogues. À la source de la révolte de Toni, il y a une crise d'identité. Voilà d'abord ce qui me fascinait dans son histoire.»

Des zones sombres

L'acteur affirme en outre comprendre les mécanismes qui font en sorte qu'un homme puisse se laisser dériver vers des zones plus sombres.

«À mon avis, Toni n'en avait rien à cirer de tout cet argent, poursuit-il. Ce fut sa façon de répondre à l'humiliation permanente dont il estimait être l'objet dans son milieu de travail. Ces gens risquent parfois leur vie pour un salaire qui ne correspond pas du tout à leur fonction. Toni est seul en lui-même et se cache pour se donner la force de passer à l'acte. Quitte à se détacher de ses proches afin de les protéger. Son crime n'a fait aucune victime. Il a simplement pesé sur l'accélérateur. Au-delà de l'argent, il souhaitait surtout faire congédier ses patrons !»

Issu d'un milieu modeste, François Cluzet connaît bien les petites humiliations quotidiennes auxquelles font face les gens ne disposant pas de grandes ressources financières.

«On a tous vécu ce genre de crise d'identité, dit-il. Surtout à l'adolescence. Je me souviens d'avoir montré une photo sur laquelle on voyait mon père ouvrir la porte de la Rolls de son patron - qu'on ne voyait pas sur la photo - en disant que cette voiture lui appartenait ! Je n'aimais pas notre misère. À l'âge de 8 ans, je livrais des journaux. Il n'y avait pas de croissant sur ma table quand je rentrais de l'école. Je détestais ma vie. Et quand on déteste sa vie, on peut alors facilement tomber dans la mythomanie. Je cherche toujours à ce qu'il y ait un écho dans les rôles que je choisis. Cela me permet de mieux m'abandonner. Toni ne veut pas être ce qu'il est. À ses yeux, le statut social passe inévitablement par le fric que tu gagnes.»

Un contexte social

Dans son film, librement adapté du livre d'Alice Géraud-Arfi Toni, 11,6 Histoire du convoyeur, Philippe Godeau retrace l'affaire jusqu'à ce que le convoyeur se rende lui-même à la police. Le réalisateur tenait aussi à ce que le contexte social dans lequel cette histoire est survenue soit bien évoqué.

«C'est surtout cet aspect qui m'a intéressé, précise le cinéaste. Au lendemain d'une crise financière provoquée par le milieu de la haute finance, Toni a été perçu un peu comme un Robin des Bois qui a repris aux riches ce que les riches avaient volé aux pauvres. Je me suis dit qu'en temps de guerre, ce mec aurait sans doute rejoint la Résistance. On ne devient pas gangster du jour au lendemain, je crois.»

Très reconnu comme producteur, Philippe Godeau est passé à la réalisation sur le tard, par nécessité.

«Le dernier pour la route était un film très personnel que j'ai finalement réalisé moi-même, car personne d'autre ne voulait le faire ! explique-t-il. J'oeuvre encore dans le domaine de la production, mais j'avoue ne plus être en mesure de m'en contenter. Je ne m'étais jamais imaginé passer à la réalisation auparavant et aujourd'hui, je ne peux plus imaginer ma vie sans ça !»

Outre François Cluzet, 11.6 met en vedette Corinne Masiero et Bouli Lanners.

11.6 prend l'affiche le 5 avril.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

Cinq films essentiels

AUTOUR DE MINUIT, Bertrand Tavernier (1986)

Face au grand Dexter Gordon, l'acteur incarne un admirateur de jazz dont la dévotion redonne l'inspiration à un célèbre saxophoniste miné par l'alcool et la solitude.

L'ENFER, Claude Chabrol (1994)

Après avoir interprété un mari médiocre dans Une affaire de femmes, Cluzet retrouve Claude Chabrol pour L'enfer, un film dans lequel il se démarque dans le rôle d'un mari jaloux.

NE LE DIS À PERSONNE, Guillaume Canet (2006)

Sa performance énergique - et très physique - dans cette adaptation d'un roman noir de Harlan Coben lui vaut - enfin - le César du meilleur acteur.

À L'ORIGINE, Xavier Gianolli (2009)

Cluzet se glisse cette fois dans la peau d'un escroc qui profite d'un concours de circonstances pour embarquer les habitants d'une région entière dans un projet bidon. À l'origine fut sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes.

INTOUCHABLES, Éric Toledano et Olivier Nakache (2011)

Triomphe planétaire pour un film dans lequel François Cluzet a fait merveille dans le rôle d'un handicapé confiné à son fauteuil roulant, face à un Omar Sy flamboyant.

Photo TWC/Alliance

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