C'est au coeur de la réserve de Kahnawake, dans une rustique maison en bois travestie en lieu de perdition, que le tournage de Rhymes for Young Ghouls s'est achevé il y a quelques jours.

Il s'agit du premier long métrage de Jeff Barnaby, reconnu et récompensé pour ses précédents courts métrages (From Cherry English, The Colony), qui apporte un éclairage critique et sans compromis sur la vie dans les réserves et sur la culture postcoloniale des autochtones. Le scénariste et réalisateur poursuit dans la même veine avec un drame prometteur dont le scénario a remporté en avril dernier à New York le Creative Promise Award 2012 au prestigieux Festival du film de Tribeca.

Rhymes for Young Ghouls (en français Rimes pour jeunes goules, un monstre folklorique) se déroule dans la réserve de Red Crow en 1976. On y suit le parcours d'Aila (Devery Jacobs), une adolescente Mi'gmaq de 14 ans devenue orpheline après le suicide de sa mère et l'emprisonnement de son père Joseph (Glen Gould). Aila est confiée à son oncle Burner (Oakes), confus et intoxiqué, qui l'élève et l'entraîne afin qu'elle devienne la princesse de la marijuana de Red Crow. Quand son père sort de prison, il est déterminé à se faire pardonner pour ses actions. Il devra faire face à son frère, qui refuse qu'il intervienne dans ses transactions de drogue, à sa fille qui n'a plus besoin de lui et à Popper, un agent indien psychotique. Aila a pour plan de quitter la réserve, mais avant, elle devra récupérer l'argent que lui a volé Popper et assouvir sa vengeance.

«Je veux prendre la violence et la tristesse qui existent sur les réserves et créer un héros humain à partir de cette souffrance. J'ai besoin de montrer la force des gens des Premières Nations», explique Jeff Barnaby, qui est né et a vécu pendant 20 ans dans la réserve Mi'gmaq de Listuguj, près de Gaspé, avant de déménager à Montréal pour y poursuivre ses études.

«On a tendance à montrer les autochtones au cinéma d'une manière positive, comme des personnes spirituelles, en phase avec la nature. Ces personnes ne sont pas celles avec qui j'ai grandi ni celles dont j'ai envie de parler. Je m'intéresse aux Indiens et à leurs problèmes de société. Je comprends qu'on ne veuille pas véhiculer une image négative, mais en même temps, il faut montrer la réalité qui est beaucoup plus sombre. Il ne peut pas y avoir que des Indiens sortis de Twilight au grand écran!», lance d'entrée de jeu Jeff Barnaby.

Soucieux de donner une voix aux autochtones et d'éclairer certains enjeux au sein des réserves, le scénariste s'est servi de témoignages de membres de sa famille, mais aussi d'anecdotes recueillies auprès d'acteurs issus des Premières Nations.

«Le suicide, la violence, l'alcool et la drogue sont malheureusement des sujets qui reviennent. On parle parfois dans les magazines des problèmes sociaux dans les réserves, mais lire des statistiques sur un bout de papier n'a pas le même impact qu'au grand écran. Tout ce que j'essaye de faire, c'est de donner un visage humain à ces chiffres», précise le réalisateur de cette fiction noire, violente et parfois fantastique, au budget de 1,4 million de dollars, qui prendra l'affiche à l'automne 2013.