Le réalisateur du Concert, Radu Mihaileanu, a écrit La source des femmes expressément pour Leïla Bekhti. L'actrice française est au coeur de ce conte dans lequel des Maghrébines font la «grève de l'amour» pour faire valoir leurs revendications.

Leïla Bekhti a encore du mal à croire à son destin. Révélée il y a six ans grâce à Mauvaise foi, premier long métrage de Roschdy Zem à titre de réalisateur, l'actrice fut plus tard consacrée par le César du jeune espoir féminin. Tout ce qui brille (inédit au Québec hors du circuit festivalier), qui lui a valu le trophée, fut aussi un grand succès populaire dans l'Hexagone. Vue récemment dans Une vie meilleure, le film que Cédric Kahn est venu tourner en partie dans notre bout de pays, Leïla Bekhti est l'une des jeunes comédiennes françaises les plus appréciées du moment.

«Je suis toujours aussi étonnée de ce qui m'arrive! confie l'actrice au cours d'un entretien à Paris. Dans le milieu où j'ai grandi, il était inimaginable d'envisager le métier de comédienne. Paradoxalement, plus j'avance, moins je suis confiante. C'est très bien comme ça. J'ai conscience de l'immense privilège dont je jouis. Je prends chaque rôle comme un cadeau. J'ai eu la chance de rencontrer, l'an dernier, des gens comme Cédric Kahn, Pierre Jolivet, et Radu bien sûr. J'ai l'impression que chaque réalisateur est un pays à découvrir. J'ai eu le bonheur de beaucoup voyager récemment!»

Le voyage fut d'autant plus enrichissant que Radu Mihaileanu a écrit La source des femmes expressément pour Leïla Bekhti. Dans ce conte, campé dans un village arabe non défini, l'actrice prête ses traits à une jeune femme qui entraînera ses concitoyennes à ne plus donner de faveurs sexuelles à leur homme. L'enjeu du litige: l'eau. Que les femmes du village vont chercher à la montagne depuis la nuit des temps. Elles voudraient désormais partager cette tâche épuisante avec leurs maris, leurs frères, leurs pères et leurs fils.

«Quand Radu m'a appris qu'il avait l'intention d'écrire ce long métrage, j'ai été complètement bouleversée, raconte Leïla Bekhti. Pour une actrice, il n'y a rien de plus beau que de savoir qu'un cinéaste est en train d'imaginer une histoire à travers soi. Je souhaite toujours être à la hauteur de ce qu'on m'offre. Là, j'ai été impliquée très vite. Sur une période d'environ deux ans, j'ai eu la chance de pouvoir discuter avec Radu à toutes les étapes de l'élaboration du film. La source des femmes raconte l'histoire de femmes musulmanes, mais, pour moi, ce récit est un prétexte pour parler de l'autre de façon plus large. C'est un film sur l'altruisme, en fait.»

La beauté de l'amour

Cette histoire, qui évoque Lysistrata d'Aristophane, a été inspirée par un fait divers survenu en Turquie il y a une dizaine d'années. Radu Mihaileanu, fraîchement sorti du succès de son film précédent, Le concert, a emprunté la forme du conte pour rendre hommage à la femme et à la beauté de l'amour.

L'auteur cinéaste a aussi tenu à ce que les actrices de son film vivent pendant quelques semaines dans le petit village marocain où le tournage a eu lieu, avant même le premier tour de manivelle.

«J'ai eu le bonheur de vivre cinq mois là-bas, relate Leïla Bekhti. L'expérience dépasse de loin le simple aspect professionnel. Il s'agit d'une expérience de vie, à vrai dire. Côtoyer quotidiennement ces femmes et ces hommes, cela remet en question bien des idées préconçues issues de nos mentalités d'Occidentaux. Ce film est une ode à l'amour et n'est pas «contre» qui que ce soit. Surtout pas contre les hommes.»

L'équipe du film est retournée sur le lieu de tournage pour montrer La source des femmes aux villageois, qui y ont étroitement collaboré.

«C'était la moindre des choses, précise l'actrice. Ce fut un événement intime, vécu sans la présence des médias. Pour nous, il était normal d'exprimer notre reconnaissance à des gens qui nous ont tellement apporté. Ils ont accueilli le film avec beaucoup de pudeur.»

Pour l'heure, Leïla Bekhti s'apprête à faire ses premiers pas sur les planches d'un théâtre parisien. Le mois prochain, l'actrice fera partie de la distribution d'À la française, nouvelle pièce d'Édouard Baer qui tiendra bientôt l'affiche au Théâtre Marigny.

«Le jour où je me réveillerai blasée, ce sera le début de la fin, dit-elle. Je reste émerveillée par tout ce qui m'arrive, quitte à paraître un peu Bisounours. J'estime qu'il est important de savourer chaque instant, et de les emmagasiner pour les fois où ce sera plus dur. Parce que ça arrivera. Forcément.»

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Trois questions à Radu Mihaileanu

Va, vis et deviens et Le concert l'ont imposé auprès des cinéphiles et du public. Entrevue avec Radu Mihaileanu, qui propose La source des femmes, conte humaniste conjugué au féminin, campé dans un village du Maghreb.

Q: Pour la première fois de votre carrière de cinéaste, vous abordez dans un film une culture qui vous est étrangère. Ce choix a-t-il été difficile à faire?

R: J'étais avant tout réticent parce que je suis un homme. Je me demandais si j'allais parvenir à saisir la complexité de la femme jusque dans son intimité. Ou à tout le moins y faire écho avec justesse. Et puis, je suis juif. Et Français. J'ai longtemps cherché une réalisatrice arabe pour tourner cette histoire, mais je n'ai pas trouvé. Je me suis laissé convaincre par les producteurs de réaliser le film moi-même, mais j'ai alors posé deux conditions. La première: avoir du temps. Il m'en fallait pour bien me documenter et aller à la rencontre de ces femmes pour comprendre leur culture de l'intérieur. Ensuite, il me semblait impératif de tourner le film en arabe.

Q: Vous avez justement choisi des actrices françaises d'origine maghrébine qui ne maîtrisent pas nécessairement la langue arabe ou, du moins, pas avec l'accent marocain qu'imposait votre histoire. Pourquoi?

R: J'ai tout simplement choisi les actrices dont je rêvais. J'aurais pu faire appel à des actrices et acteurs marocains, mais c'était plus problématique, car ils ne sont pas très nombreux. La langue fut un défi particulier, c'est vrai. Il y a toujours eu des langues étrangères dans mes films. Mais là, je tournais pour la toute première fois dans une langue que je ne maîtrisais pas, et qui n'est pas non plus celle que parlent les acteurs dans leur vie. Je fonctionnais avec un double texte, c'est-à-dire que j'apprenais tous les jours phonétiquement le texte en arabe pour en saisir toute la musicalité.»

Q: Au-delà du caractère intime de l'histoire, qu'est-ce qui vous a le plus intéressé?

R: Cette histoire regroupe tout ce qui me préoccupe dans le monde aujourd'hui. L'approvisionnement en eau d'abord. Qui sera un jour un enjeu bien plus grand que l'approvisionnement en pétrole. Et puis, ce récit constitue une métaphore pour les choses qui sont les plus chères à mes yeux: l'amour et la solidarité. Ce petit sujet, qui m'est tombé du ciel grâce à un fait divers survenu en Turquie, est grand, en fait. Ces femmes courageuses envoient un message fort en prenant la parole dans un monde qui devient fondamentaliste, et de plus en plus masculin radical. L'expression est le seul moyen pour survivre. Il ne faut jamais se taire.

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La source des femmes prend l'affiche le 10 août. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.