Parti travailler en France il y a un an, Stéphane Rousseau est revenu au Québec le 11 avril avec, dans ses valises, une tournée triomphale de spectacles, un premier rôle dans Astérix, un autre dans la comédie romantique Modern Love, deux nouveaux projets de films et une carte de membre pour les ligues majeures.

Ses valises à peine défaites, il a repris la route pour une tournée qui le mènera partout au Québec, avec un arrêt au TNM en juin. Portrait d'un mec comique parti pour la gloire.

Depuis qu'il est revenu au Québec, Stéphane Rousseau n'a pas cessé d'accumuler les tuiles et d'accueillir les calamités. D'abord, il y a eu la tempête de neige et de verglas qui l'attendait à sa descente d'avion comme un rappel brutal des charmes oubliés de l'hiver québécois. Il a mis une éternité à retrouver sa maison frigorifiée à Sainte-Adèle et une autre éternité à réapprendre comment sortir un véhicule enlisé dans un banc de neige.

Ce n'était qu'un début. Le lendemain, une deuxième tempête s'est sauvagement abattue sur lui et ses pneus quatre saisons pendant qu'il revenait de Québec vers minuit. S'il revenait de Québec aussi tard, c'est que la compagnie qui gère son système d'alarme l'avait appelé d'urgence pour l'informer qu'un cambrioleur venait de s'introduire par effraction chez lui.

Et pour clôturer cette série noire, mercredi, alors qu'il était attendu au théâtre de Terrebonne, Stéphane Rousseau a pris par erreur la route pour Trois-Rivières avant de se heurter à un immense bouchon sur la 40 Est et de réaliser qu'il était à des années-lumière de sa destination finale.

Pourtant, c'est un Stéphane Rousseau cool, calme et à peine échevelé que j'ai vu surgir une heure plus tard sur la scène encore inanimée du magnifique et tout nouveau théâtre de Terrebonne. Il était flanqué de sa blonde, Maud St-Germain, une belle grande brune aux jambes impossiblement longues. Danseuse de métier, elle apparaît en ombre chinoise dans le rôle de la psy qui pousse Rousseau à raconter sa vie tout au long du spectacle. Elle a fait toute la tournée en France avec lui, ainsi que trois techniciens québécois, dont un sonorisateur qui travaille avec Rousseau depuis ses débuts il y a 15 ans.

«Si Maud et mes boys n'avaient pas été là avec moi, je pense que je n'aurais pas été capable de me rendre au bout de la tournée. C'est pas évident d'être loin de chez toi, soir après soir, face à un public tout neuf, sans repères, avec lequel la communication n'est pas toujours immédiate. Mais bon, je ne vais pas me plaindre alors que ça fait cinq ans que je travaille pour m'imposer en France et que ça commence enfin à marcher.»

Le gros lot

Marcher, dans ce cas-ci, est un euphémisme puisqu'en plus de remplir ses salles partout où il passe, l'humoriste a décroché le gros lot: un premier rôle aux côtés de Gérard Depardieu, Alain Delon et Clovis Cornillac dans le prochain Astérix, le film -événement, le plus cher de toute l'histoire du cinéma français, qui est assuré de faire entre 8 et 10 millions d'entrées en France à sa sortie en janvier 2008.

«Même si le tournage est terminé depuis huit mois, la semaine dernière, j'étais encore dans mon costume d'Alafolix en train de recommencer quelques scènes, dit-il. J'ai vu un semblant de premier montage qui augure bien. C'est très beau, léché et drôle, évidemment.»

Plus tard dans la soirée, Rousseau avouera pourtant que l'intégration sur le plateau de cette énorme production, peuplée de monstres sacrés alanguis dans leur roulotte de luxe dont la flotte appartient à Gérard Depardieu, ne fut pas évidente. «Moi, j'étais le petit nouveau qui avait tout à prouver. Un Québécois en plus! Alors dans un premier temps, j'ai maintenu un profil bas en me sentant un peu mal à l'aise et pas complètement à ma place. Et puis lentement, au fil des mois, j'ai surmonté mon malaise face à ces monstres sacrés qui vivent sur une autre planète.»

C'est sur le plateau d'Astérix que Rousseau a pris toute la mesure sinon toute la demeure du star système français.

«C'est très facile de s'enfler la tête et de perdre ton équilibre même quand t'as un statut de semi-vedette comme moi. Là bas, tu peux t'asseoir dans le vide et être assuré que quelqu'un va trouver, dans la seconde qui suit, une chaise pour t'empêcher de tomber. Et bien que tout cela soit fort agréable pour l'ego, à la longue, il me semble que ce n'est pas sain de se faire flatter dans le sens du poil constamment. Je trouve qu'on est définitivement plus équilibrés ici.»

Ravi de revenir

Probablement parce que je n'ai pas cette expérience d'une tournée en France, j'avais imaginé que le retour au pays de Stéphane Rousseau serait difficile et un brin ennuyeux. Qu'il aurait toute la misère du monde à repartir en tournée dans les endroits les plus reculés du Québec, où il n'y aurait ni vins fins ni grande bouffe ni relais et châteaux à la tombée du rideau. Mais c'est le contraire. L'humoriste est sincèrement ravi de revenir dans ses pantoufles. Ravi de retrouver l'air pur et vivifiant de sa maison au fond des bois même s'il aurait pu se passer de la visite du cambrioleur égaré. Ravi aussi de renouer avec un public qui l'a pratiquement vu grandir, à qui il n'a pas besoin d'expliquer qui il est ni d'où il vient, et dont la chaleur contagieuse n'a pas encore son égal en France.

À Paris, Rousseau vivait avec Maud dans un appartement prêté, rue du Faubourg Saint-Honoré, à un jet de pierre de chez Thierry Ardisson. À force de passer sa vie dans les taxis à se farcir les jérémiades et les odeurs douteuses de leurs propriétaires, il a fini par s'acheter un scooter. Pendant le tournage de la comédie romantique Modern Love, il se levait à l'aube et découvrait chaque matin la beauté de Paris qui se réveille. Il a eu le temps de tisser des liens d'amitié avec Jean Dujardin et sa femme, la comédienne Alexandra Lamy, de peindre et de prendre entre 5000 et 6000 photos à Paris et ailleurs. Mais ces petits plaisirs volés à un horaire chargé n'ont pas soigné son insomnie ni atténué la pression constante qu'il sentait peser sur lui. Et même s'il compte éventuellement s'acheter un appartement à Paris, il jure qu'il ne renoncera jamais à sa vie ici.

«Cette fois-ci, j'ai aimé la France comme je ne l'avais jamais aimée avant sauf que la seule fois où j'ai réussi à dormir une nuit complète, c'est en retrouvant mon gros lit douillet à Sainte-Adèle. Pas juste mon lit, le lac, le bois, l'atelier où je peins, mon garage et mes outils. Chaque fois que je regarde mes outils, je pense à la "ligne" d'Yvon Deschamps: mes outils, c'est sacré, y'a personne qui y touche. Même pas moi!»

Plus près de ses racines

Rousseau aime tellement les textes d'Yvon Deschamps, qu'il a repris et inséré un de ses anciens monologues sur la paternité dans son spectacle. En France, où le public ne connaît pas Deschamps et ignore si Rousseau a des enfants, ce monologue corrosif à souhait, livré par un père récalcitrant, est passé comme une balle. Mais au Québec, Rousseau craignait de semer une certaine confusion.

Vérification faite à Terrebonne, mercredi soir, où il entamait une série de trois spectacles qui affichaient complet, le public n'y a vu que du feu. Le monologue a été accueilli par des rires et des grognements complices et sans que l'ensemble du public ne semble conscient de l'entreprise de recyclage en cours.

Pourquoi ce monologue-là plutôt qu'un autre? Rousseau l'ignore. Il raconte seulement qu'un soir en Alsace cet hiver, le public lui a demandé un rappel. La demande l'a pris au dépourvu. Forcé d'improviser, il s'est souvenu du monologue d'Yvon qu'il avait appris par coeur à 12 ans. Il l'a livré spontanément et sans oublier une virgule. La réaction fut telle qu'il décida sur le champ de l'intégrer au spectacle, non sans avoir au préalable obtenu la permission et la bénédiction de Deschamps.

Étrangement, le séjour prolongé de Rousseau en France, semble l'avoir rapproché de ses racines québécoises. Avant chaque spectacle, il prenait un malin plaisir à balancer dans les oreilles de son public une compilation de chansons québécoises de son cru, allant d'Ariane Moffatt à Éric Lapointe en passant par Loco Locass. De retour à Paris, quand on lui a proposé de participer aux Moumoutes, une nouvelle émission de télé inspirée par South Park, et d'incarner Jean-Guy Gagnon, un Québécois qui sacre aux deux secondes, il n'a pas hésité.

Rousseau ignore quand Les Moumoutes prendront l'antenne à la télé française. Il sait seulement que l'automne prochain, il tournera dans deux nouveaux films. Le premier, I Want Rodolph Marcadet avec les réalisateurs Sébastien Sort et Mark Eacersall. Le deuxième, Il est temps d'être heureux, avec la réalisatrice Pascale Bailly. Il sait aussi qu'en janvier 2008, la sortie à tout casser d'Astérix, suivie un mois plus tard par la sortie de Modern Love, vont le faire passer du statut de semi-vedette à celui de commodité domestique française, et peut-être même, de star. Si la perspective l'enchante, elle l'inquiète aussi un brin. Déjà que sa vie parisienne est un peu folle, qu'est-ce qu'elle deviendra quand sa gueule de gaulois sera sur toutes les affiches de Paris et en format surdimensionné sur plus de 900 écrans! Chose certaine, Stéphane Rousseau pourra s'asseoir dans le vide sans danger. Il y aura toujours quelqu'un quelque part pour lui offrir sa chaise...