Avec grande discrétion, Jean-Pierre Darroussin est devenu un acteur indispensable du cinéma français. Très présent dans les films de Robert Guédiguian (de Dieu vomit les tièdes jusqu'au Voyage en Arménie), Darroussin a tourné environ 70 films en près de 30 ans de carrière. Avec Le pressentiment, l'acteur propose aujourd'hui son premier long métrage en tant que cinéastre.

Q : Comment est né ce désir de réalisation?

R : J'ai eu envie de passer à la mise en scène dès que je suis devenu acteur. Il s'agit d'une envie, donc, qui remonte à très loin mais je ne m'étais jamais autorisé à lui donner suite. Or, j'ai toujours collaboré très étroitement avec les cinéastes avec qui j'ai tourné. Ne serait-ce que pour réfléchir au sens des choses. Je n'avais jamais osé franchir le pas jusqu'à maintenant car il n'est pas dans ma nature d'être directif. Maintenant, c'est fait et je suis très content. Et j'estime ce travail de mise en scène très complémentaire à celui de l'acteur.

Q : Le pressentiment est une adaptation du roman homonyme d'Emmanuel Bove paru en 1935. Pourquoi avoir choisi cet ouvrage?

R : Parce que je souhaitais travailler sur l'oeuvre de cet auteur avec qui, en tant que lecteur, j'entretiens un rapport intime. Et pas qu'avec ce roman-là d'ailleurs. Cela dit, je devais être âgé d'environ 25 ans quand j'ai lu Le pressentiment et ce bouquin m'est toujours resté en tête. Je me suis dit qu'il devait bien y avoir une raison! Cette façon qu'a Bove de prendre la vie à rebours m'a beaucoup marqué. J'aime aussi cette manière d'exprimer un point de vue qui ne cadre pas dans les codes sociaux habituels, sans justification psychologique.

Q : Avec votre coscénariste, Valérie Stroh, vous avez toutefois choisi de transposer l'intrigue à notre époque. Vous avez aussi choisi de camper vous-même le protagoniste du film.

R : Transposer l'intrigue dans un contexte contemporain était évidemment une façon d'ancrer le récit dans notre réalité. Il est en effet aussi exaltant de pouvoir transmettre ce qu'on peut agripper de son époque. Pour ce qui est de jouer moi-même le personnage, là n'était pas mon intention au départ, d'autant plus que j'avais hâte d'établir une collaboration avec un acteur afin qu'il puisse me renvoyer des choses. Je l'avais même déjà choisi.1 Or, il devenait de plus en plus clair, au fil du travail, que le film allait être plus juste si le personnage à travers lequel cette histoire est racontée était identifié à celui qui la met en scène. Comme une vraie prise de parole. Mais il n'est vraiment pas évident de faire les deux.

Q : Qu'est-ce que qui vous attirait particulièrement dans le thème du film?

R : Le fantasme d'être quelqu'un d'autre. À une étape ou à une autre, nous avons tous, je crois, cette envie de tout quitter, de changer de vie pour aller vivre de nouvelles expériences. Rares sont ceux, pourtant, qui s'autorisent pareille rupture. Je trouvais ce thème fascinant. J'aime bien aussi la passivité du personnage face à l'agitation des autres autour de lui, face à leurs certitudes et à leurs jugements péremptoires. Cette attitude légèrement poétique qu'il se donne dans la vie par rapport aux clichés. Se retirer est aussi une forme d'engagement parfois

Q : Pourquoi y a-t-il autant d'acteurs qui passent derrière la caméra?

R : Cela vient d'abord, je crois, d'une nécessité. Au-delà de ça, il y a en ce moment un contexte qui nous favorise. Il y a désormais tellement de films qui prennent l'affiche qu'il devient difficile pour chacun d'entre eux de se distinguer. Or, une façon de se distinguer, aux yeux des décideurs, est de pouvoir accrocher le public avec un nom. Un acteur connu qui veut faire son premier film sera ainsi reçu avec plus d'égards que quelqu'un dont la réputation n'est pas encore établie. Et j'en suis bien conscient.

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VOUS L'AVEZ VU :
Dans Un air de famille de Cédric Klapisch et dans Combien tu m'aimes ? de Bertrand Blier.

VOUS LE VERREZ :
Dans Dialogue avec mon jardinier de Jean Becker.