Quand Paul Verhoeven s'attaque aux heures les plus sombres de l'histoire des Pays-Bas, cela donne l'héroïque Soldier of Orange (1977) ou le réaliste Black Book, fraîchement arrivé sur nos écrans. Le réalisateur de Basic Instinct signe un thriller historique où occupation, libération, et déportation, s'affrontent et se confrontent, pour le meilleur... et pour le pire.

Le Black Book de Verhoeven aurait aussi bien pu s'intituler Le livre noir de la résistance hollandaise. À La Haye, peu avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, une jeune femme juive, Rachel Stein, tente de fuir. L'expédition à laquelle la demoiselle et sa famille participent est tragiquement arrêtée par les Allemands, qui déciment tous les membres de l'équipage.

Tous? Non. Rachel Stein résiste encore et toujours à l'envahisseur teuton. Décidée à en découdre avec l'occupant, la jeune femme rejoint un groupe de résistants, troque sa chevelure brune pour une décoloration intégrale, son nom Juif pour un nom flamand, Ellen de Vries. Mi Mata Hari, mi Lucie Aubrac, Ellis séduit un officier allemand, Ludgwig Müntze, dont elle finit par s'enticher.

Rocambolesque, Black Book? Non, historique, rétorque Paul Verhoeven. «Tout cela a vraiment existé, l'histoire, tout comme les vraies personnalités», répond le réalisateur. Rachel-Ellies est la symbiose de trois vraies jeunes femmes, un officier nazi a bel et bien retourné sa veste et enfin, la résistance néerlandaise n'a pas connu que des heures de gloire.

Au téléphone, Paul Verhoeven se fait disert sur la quantité de documents amassée depuis un quart de siècle, sur cette période trouble et longtemps tue de l'histoire hollandaise. «Il a fallu attendre des études universitaires menées par des gens nés après la guerre, capables de regarder l'histoire d'un oeil moins préjudiciable», dit-il, avant d'affirmer: «Ma bibliothèque personnelle compte plus de 600 livres sur le sujet!»

La face hideuse de la résistance néerlandaise apparaît dans toute sa cruauté dans Black Book. «Depuis les débuts de ce projet, mon ambition a été de montrer que les survivants de la guerre ont été en plus grand danger après la guerre que pendant, dit Verhoeven. Les Hollandais se sont plus mal comportés à la libération que les Nazis pendant l'occupation.»

Bien évidemment, Verhoeven, en amateur de blondes sans culottes (Basic Instinct) ou d'effeuilleuses fatales (Showgirls) montre plus qu'il ne suggère la décoloration de poils pubiens, le sexe, et la violence. Dans l'une des dernières scènes de Black Book, une marmite remplie d'excréments se déverse sur Rachel-Ellies. Paul Verhoeven se défend d'avoir versé dans le scatologique: «En réalité, tous les matins, les prisonniers étaient obligés de se plonger dans un grand container rempli de merde. C'était encore plus violent.»

Paul Verhoeven ne manque pas d'enthousiasme pour évoquer Black Book. Le public néerlandais a d'ailleurs partagé l'exaltation du réalisateur, puisque le film-sur-une-vérité-qui-dérange y a tenu le haut du box-office lors de sa sortie. De quoi combler un réalisateur qui ne regrette pas son retour au bercail.

«Je n'aurais pas pu faire ce film ailleurs qu'en Europe. Je ne crois pas qu'il corresponde à la vision que l'on a en Amérique, de la guerre. La sexualité serait un problème, tout comme le fait qu'une femme juive couche avec un officier allemand. En plus, il aurait fallu tout tourner en anglais (le film est tourné en néerlandais et en allemand), ce qui aurait été pour le moins bizarre puisque pendant la guerre, l'anglais était interdit. Cela aurait été complètement ridicule», estime Paul Verhoeven.

Hollywood ne manque pas vraiment à Paul Verhoeven l'Européen. «Après ma période de science-fiction, je voulais vraiment faire un film réaliste. J'étais un peu soûlé de toute cette fantaisie. Black Book peut paraître un peu dur, mais c'est seulement du réalisme, et je préfère faire des films sur la réalité de la vie plutôt que sur la fantaisie de la vie.»