Quatre ans après avoir obtenu le prix d'interprétation féminine du Festival de Cannes grâce sa prestation dans Les invasions barbares, Marie-Josée Croze mène sa carrière comme elle l'entend. Et cela lui réussit à merveille.

On ne voit pas beaucoup Marie-Josée Croze dans Ne le dis à personne. Pourtant, le personnage qu'elle y incarne est celui dont on parle le plus dans ce film que Guillaume Canet a tiré du roman de Harlan Coben, Tell No One.

Le nom de l'actrice apparaît d'ailleurs au générique tout de suite après celui de François Cluzet (lauréat du César du meilleur acteur cette année pour ce film), bien en vue parmi les nombreuses pointures que compte la distribution de ce thriller. André Dussollier, Kristin Scott-Thomas, François Berléand, Nathalie Baye, Jean Rochefort, sans oublier l'acteur cinéaste Canet lui-même, sont en effet aussi de la partie.

Cette observation peut évidemment paraître anodine, mais elle révèle néanmoins le statut que l'actrice québécoise a acquis en France au fil des ans. Le parcours est d'autant plus remarquable que la vedette de Maelström a établi là-bas sa réputation en prêtant son talent à des univers et à des auteurs au rayonnement parfois plus confidentiel. Plusieurs des films qu'elle a tournés dans l'Hexagone ne se sont d'ailleurs jamais rendus jusqu'à nous, hors du circuit des festivals (et encore).

Cela dit, des gens comme Jean-Pierre Denis (La petite chartreuse) ou Laurence Ferreira Barbosa (Ordo) possèdent, en tant que cinéastes, des personnalités très affirmées. On pourrait aussi en dire autant des metteurs en scène sous la direction desquels elle a tourné en anglais: Atom Egoyan, bien sûr (Ararat), et puis un dénommé Steven Spielberg (Munich).

« Je pense avoir un bon instinct pour choisir les projets qui me conviennent, commentait récemment la comédienne au cours d'une rencontre de presse parisienne à laquelle assistaient quelques journalistes québécois. Mais je n'ai pas de fantasme d'actrice comme tel, pas de véritable ambition non plus. Je crois de moins en moins aux vertus du scénario et de plus en plus à celles des créateurs. Je cherche avant tout des rencontres. Qui relèvent même parfois du choc amoureux dans mon esprit. Si ça ne se passe pas sur ce niveau, c'est un peu triste.»

Peu attirée par les polars en général (même le cinéma de Hitchcock ne la touche guère, dit-elle), elle attribue justement sa présence dans Ne le dis à personne à la qualité de sa rencontre avec Guillaume Canet.

«Quand on regarde nos parcours respectifs, à Guillaume et à moi, nous ne semblons pas partager vraiment d'affinités. Lors de notre première rencontre, je me suis pourtant vite aperçu que nous partagions une vraie communauté d'esprit, tant sur le plan des rapports humains que sur celui de l'approche du métier. Je souhaite travailler avec des gens qui me ressemblent.»

Toujours envahie par le doute (elle a souvent le réflexe de penser que le rôle qu'on lui offre ne lui convient pas), Marie-Josée Croze a récemment eu l'occasion de faire le saut sur les planches. Elle a fait ses débuts au Théâtre de l'Athénée à Paris l'automne dernier. Dans une mise en scène de Jacques Lasalle, l'actrice fut l'une des têtes d'affiche de Requiem pour une nonne, une pièce de William Faulkner adaptée par Albert Camus. Peu de gens au Québec ont eu vent de la chose, l'actrice ayant préféré rester discrète à cet égard.

«Des journalistes québécois ont voulu faire des reportages à l'époque mais j'ai refusé, explique l'actrice. Tout simplement parce qu'on parlait alors d'une chose que les spectateurs québécois ne pouvaient pas voir.»

Vieilles blessures

Ce qui nous amène, inévitablement, au rapport un peu ambigu - c'est du moins ce que certains semblent croire - que Marie-Josée Croze entretient avec le milieu artistique québécois.

L'actrice s'est clairement «trouvée» en France. Elle y vit, elle y travaille, elle s'y épanouit. Et elle est sollicitée par des metteurs en scène dont elle partage la vision sur le plan culturel et artistique. Une simple question de sensibilité qui, dans son cas, s'adonne à trouver un plus bel écho en Europe qu'au Québec.

«Il est certain que le succès international des Invasions barbares a radicalement changé ma vie. Mais bien avant cela, j'étais déjà très attirée par la culture française et européenne. Après avoir obtenu le prix à Cannes, il était devenu impossible pour moi de rester à Montréal de toute façon. Impossible. Trop de rancoeurs. Les mêmes personnes qui m'avaient jetée pendant des années - je n'étais même jamais invitée à me présenter aux auditions - m'envoyaient tout à coup leurs scénarios! Cette schizophrénie était difficile à vivre.»

Évidemment, l'actrice est passée à une autre étape de sa vie depuis cette époque, mais les vieilles blessures ne sont visiblement pas encore toutes cicatrisées. Au cours de la conversation, elle reviendra notamment sur un chapitre assez peu glorieux, en racontant comment, à peine quelques jours après avoir reçu son prix dans le plus grand festival de cinéma du monde, on lui a fait parvenir une proposition de façon complètement intéressée.

«C'était un scénario écrit par une directrice de casting qui, avant que je ne sois primée à Cannes, ne m'avait pourtant même jamais appelée pour me convoquer à ses auditions. J'ai juste eu envie de pleurer. On souhaite que ceux qui ne nous aiment pas continuent de ne pas nous aimer ou alors, s'ils changent leur fusil d'épaule, qu'ils le fassent pour de bonnes raisons!»

L'actrice ne ferme évidemment pas la porte aux cinéastes québécois, même si les propositions, concède-t-elle, se font plutôt rares. «J'ai une vie au Québec pourtant», laisse-t-elle tomber.

Quant à sa carrière «internationale» (lire anglo-saxonne), l'actrice n'est pas prête à faire toutes les concessions non plus. «Je me vois mal squatter les studios à Los Angeles pour essayer de décrocher des rôles. Au fait, quel genre de rôle? Non, si les Américains veulent me proposer des choses, ils savent où me trouver.»

L'actualité de Marie-Josée Croze est principalement française, cela dit. Elle a récemment tourné Deux jours à tuer sous la direction de Jean Becker (Les enfants du marais), un film dans lequel elle donne la réplique à Albert Dupontel. Depuis Ne le dis à personne, l'actrice a aussi tourné Le scaphandre et le papillon de Julian Schnabel (Basquiat, Before Night Falls), un film où elle joue aux côtés de Mathieu Amalric et Emmanuelle Seigner, de même que dans Le nouveau protocole de Thomas Vincent (Karnaval), un drame dans lequel elle retrouve Clovis Cornillac, l'un de ses partenaires de Mensonges et trahisons.

Pourrait-on trouver plus belle façon de panser les vieilles blessures qui restent?

Ne le dis à personne prend l'affiche le 20 avril. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

Marie-Josée Croze:

VOUS L'AVEZ VUE: Dans Les invasions barbares de Denys Arcand et dans Munich de Steven Spielberg.

VOUS LA VERREZ: Dans Le scaphandre et le papillon de Julian Schnabel et dans Deux jours à tuer de Jean Becker.