Xavier Giannoli a écrit le scénario de Quand j'étais chanteur spécifiquement pour Gérard Depardieu. Le monstre sacré lui a répondu en offrant l'une des plus belles compositions.

Même ceux qui fréquentent le Festival de Cannes depuis des siècles n'en revenaient pas. Lors de la projection de presse de Quand j'étais chanteur, qui était sélectionné l'an dernier en compétition officielle, les journalistes ont commencé à taper des mains en cadence au son de la chanson qui ponctue le générique de fin. Du jamais vu!

Ceux dont on dit qu'ils sont les critiques les plus exigeants et les plus redoutables de la planète cinéma se sont ainsi mis à manifester bruyamment leur enthousiasme. Sur l'écran, Gérard Depardieu interprétait de toute sa sensibilité de chanteur de province la chanson de Michel Delpech qui donne son titre au film.

«Évidemment, je ne pouvais pas assister à cette projection mais l'un des techniciens du film, qui était là, m'a vite rapporté cette anecdote, relatait l'auteur cinéaste Xavier Giannoli quelques mois plus tard au cours d'une entrevue accordée à La Presse. Ce fut une grande surprise et une très grande joie de constater que cette histoire pouvait toucher les gens de cette façon.»

Giannoli était d'autant plus ravi que cette forme d'accolade survenait après l'échec d'Une aventure, son film précédent. Âgé de 34 ans, le cinéaste n'avait jamais eu à se remettre d'un tel revers auparavant. Révélé par L'interview, un court métrage remarquable qui lui vaut la Palme d'or à Cannes en 1998, Giannoli s'est aussi fait remarquer avec son premier long métrage, Les corps impatients. Ce très beau film (toujours inédit au Québec) fut largement soutenu par la critique, et gratifié d'un beau succès public dans l'Hexagone.

Une aventure, son deuxième long métrage, n'était même pas encore sorti que Giannoli s'est tout de suite lancé dans l'écriture - et le tournage - de Quand j'étais chanteur, histoire de ne pas prolonger inutilement la fausse note.

«À vrai dire, Quand j'étais chanteur a été nourri par la peine que j'ai ressentie face à l'échec d'Une aventure. Quand on passe deux ans de sa vie sur un truc qui ne marche pas, on ressent une vraie douleur. Le scénario traite d'ailleurs de ces questions: l'idée de la réussite, de l'échec, de la reconnaissance, etc.»

Au coeur du film, la chanson populaire. Celle qui nourrit le répertoire intemporel de tous ces chanteurs de bal qui, dans les villes de province, roucoulent leurs chansons d'amour pour aider les gens à vivre. Celle qui, aussi, a meublé l'imaginaire d'un auteur cinéaste dont l'enfance fut marquée par la présence d'un voisin célèbre, le chanteur Christophe. L'interprète des Mots bleus, d'Aline et autres Paradis perdus avait pourtant cessé de chanter au moment où le petit Giannoli l'a connu. «Mais sa personnalité était toujours aussi singulière et fascinante, commente l'auteur cinéaste. Son retour sur scène il y a trois ans fut un moment magique.»

Sur mesure pour Depardieu

Par ailleurs, la chanson de Michel Delpech a été un élément qui a permis à Giannoli de trouver un fil conducteur. Quand j'étais chanteur raconte en effet l'histoire d'un homme vieillissant qui a déjà connu la gloire dans le monde des variétés.

«Une fois l'idée retenue, j'ai alors fait une enquête comme un journaliste, raconte le réalisateur. Moi qui, comme tout le monde, entretenait ma part de préjugés envers ce milieu, j'ai alors rencontré Alain Chanone. Il s'agit d'un chanteur de bal qui se dit lui-même mondialement connu à Clermont-Ferrand! Un homme modeste et heureux qui donne du bonheur aux gens. Il m'a beaucoup inspiré.»

Aussi n'y avait-il aucun doute dans son esprit que le personnage principal de son film devait être joué par Gérard Depardieu. Giannoli s'atèle même à l'écriture de son scénario avec, en guise de profession de foi, son idée de film dans la tête et, sur son bureau, une photo de l'acteur, posée là en permanence.

«Je sais. Il était totalement irresponsable de ma part d'écrire un film spécifiquement pour un acteur sans même le lui dire, concède l'auteur cinéaste. Dans mon esprit, Depardieu ne pouvait cependant pas dire non. C'était impossible. Je n'en ai d'ailleurs jamais douté un seul instant. C'est comme un compositeur qui écrit une chanson pour un interprète en connaissant déjà toutes les modulations, toutes les nuances, jusqu'à la tessiture de la voix. Gérard avait déjà tellement nourri mon imaginaire de cinéphile qu'en mon for intérieur, je savais que cette rencontre allait avoir lieu.»

Pour Giannoli, Depardieu a quelque chose de l'acteur ultime. L'envie de tourner avec lui relevait de l'évidence.

«Quand j'étais gamin, Gérard m'amusait dans La chèvre, explique l'auteur cinéaste. Plus tard, je l'ai vu dans Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat, un des plus grands chocs de cinéma de toute ma vie. Et maintenant que j'ai tourné avec lui, je n'ai envie que de recommencer. Depardieu, c'est comme de la came. Une fois que tu as goûté à ça, tu ne peux plus t'en passer!»
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Quand j'étais chanteur est actuellement à l'affiche. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.