À 9 ans, Guillaume Lemay-Thivierge était déjà une vedette du grand écran mais il ne savait pas lire. À 20 ans il savait lire mais il ne travaillait plus au cinéma. À 30 ans, après avoir tourné trois films coup sur coup dont l'explosif Nitro, il est à nouveau l'acteur de l'heure. Portrait du plus jeune revenant du cinéma qui porte le titre de saveur du mois depuis au moins... trois ans.

C'était à la soirée des Jutra en 2004. Guillaume Lemay-Thivierge était un présentateur parmi tant d'autres. Mais au lieu de s'en tenir à son texte, l'acteur opiniâtre et au chômage a décidé d'ajouter son grain de... sable dans l'engrenage.

Après avoir félicité ses camardes de jeu de leurs nominations, il a lancé aux producteurs: «Mais faudrait faire attention de ne pas brûler les 10 mêmes acteurs qui travaillent tout le temps au Québec», une déclaration en forme de pied de nez au manque d'imagination d'un milieu qui a effectivement tendance à toujours faire appel aux mêmes noms, quitte à les user à la corde.

Passée la surprise, l'auditoire des Jutra avait chaleureusement applaudi Guillaume, saluant à la fois son courage et la pertinence de ses propos. Ce soir-là, le producteur Vincent Gabriele fut le premier à le prendre au pied de la lettre en lui offrant un rôle dans Le négociateur. Résultat, trois ans plus tard, Guillaume Lemay-Thivierge figure désormais sur la liste des 10 acteurs qui tournent le plus au Québec. On l'a vu à la télé dans Casino, Le négociateur et Lance et compte. Dès vendredi, on le découvrira dans Nitro, puis en juillet dans Les 3 petits cochons et cet automne dans La ligne brisée, un film sur la boxe. En d'autres mots, les reproches ont porté fruit. Surtout pour le principal intéressé. Un brin ironique, non? Guillaume Lemay-Thivierge me répond par un grand sourire étincelant.

«C'est clair que j'ai utilisé le gala à des fins personnels, avoue-t-il candidement. J'ai cherché à profiter de la situation et à tirer mon épingle du jeu. J'ai voulu me démarquer et j'ai réussi.» L'aveu est candide, mais il est aussi un peu court.

Car maintenant qu'il fait partie du système, Guillaume Lemay-Thivierge semble avoir perdu toute envie de le critiquer. À ce sujet, il se contente de citer Michel Côté qui, en le croisant un jour, lui a lancé à la blague: «Maintenant que tu tournes, tu la fermes ta gueule, hein?»

Nous sommes sur la terrasse du Café des éclusiers dans le Vieux Montréal, sous un soleil éblouissant. Tous les acteurs principaux de Nitro - Lucie Laurier, Raymond Bouchard, Martin Matte - sont réunis, chacun sous son parasol et devant son micro. Tous racontent à leur manière cette course folle d'un homme qui part à la recherche d'un coeur pour sauver la vie de sa femme qui se meurt dans un hôpital. Pour sa part, Guillaume, qui tient le rôle principal, ne sait pas quoi ajouter sinon que Nitro est le film qu'il rêvait de tourner depuis toujours. À cause de l'action, des courses de voitures, des cascades, du rôle physique, mais aussi pour la dureté et le désespoir de son personnage.

«Les gens ont peut-être l'impression qu'ils s'en vont voir un Fast and Furious, mais ils vont être surpris. Nitro, c'est tout sauf un film niaiseux et gnangnan. C'est un film qui brasse aussi bien physiquement qu'émotivement.»

Une enfance devant la caméra

C'est aussi un film où l'ancien enfant acteur révélé par Le Matou partage en partie la vedette avec un enfant de 9 ans. Il s'agit du petit Antoine DesRochers, fils du réalisateur Alain DesRochers. Comme Guillaume Lemay-Thivierge au même âge, Antoine n'en est pas à son premier rôle. Et comme lui, il crève l'écran.

«Ça m'a rappelé de beaux souvenirs, raconte Guillaume. Je me voyais à son âge et je me suis rendu compte à quel point on est inconscient à cet âge-là. On ne sait pas trop ce qu'on fait mais on le fait pareil. C'est facile, c'est naturel. C'est plus tard que ça se complique.»

Par plus tard, Guillaume évoque sans doute sa vingtaine, quand sa carrière a connu une sorte de creux. Attendant des offres qui ne venaient plus, il est allé proposer ses services comme bagagiste chez Air Canada dans l'espoir de pouvoir voyager gratuitement. Il n'a pas obtenu le poste, mais il a retrouvé le goût d'un métier qui a structuré la majeure partie de son enfance.

Guillaume Lemay-Thivierge a tourné sa première pub à l'âge tendre de 6 ans. Son père, François Thivierge, un ancien videur de club et agent d'artistes, avait remarqué les talents de communicateur du plus âgé de ses deux fils. Un jour, il décide de lui faire passer une audition pour une pub de McDo. Ce jour-là les deux partent de Prévost dans les Laurentides et arrivent à l'audition, échevelés et en retard. Ils sont les derniers à passer. «Je ne sais pas ce que je leur ai dit, mais il paraît que dès que j'ai ouvert la bouche, c'était moi qu'ils voulaient. Après j'ai fait une pub pour Orange Crush en Arizona. Imagine, t'as 7 ans, t'es sur un plateau de cinéma en Arizona, tout le monde s'occupe de toi, tu fais de l'argent et tu tripes. Chaque fois qu'on terminait une pub, mon père me demandait si je voulais en faire un autre. Je répondais toujours oui.»

L'année suivante, le petit Guillaume tourne son premier film, Les années de rêve par Jean-Claude Labrecque. Il aime tellement l'expérience qu'il se pointe peu de temps après aux auditions de Mario, un film que Jean Beaudin s'apprête à tourner aux Îles-de-la-Madeleine. Il n'aura pas le rôle mais il en aura un autre dans La dame en couleurs, le dernier film de Claude Jutra. Le refus de Beaudin lui servira de prétexte et d'entrée en matière pour l'audition du Matou.

«Mon père m'avait dit que la première chose à faire en entrant c'était de demander à Jean Beaudin sur un ton sec et baveux pourquoi il ne m'avait pas choisi pour Mario. Pas pour être impoli. Simplement pour lui montrer que j'étais déjà dans le personnage de Monsieur Émile.»

La stratégie paternelle fut un succès. Non seulement Guillaume obtint le rôle de Monsieur Émile, cet enfant battu, alcoolo et attachant mais il fut la grande révélation du Matou. L'expérience fut un point tournant à plusieurs égards.

«À l'époque, il n'y avait rien de prévu pour les enfants sur les plateaux de cinéma. On pouvait travailler 12-14 heures sans relâche. Mon père avait décidé que ça n'avait pas de bon sens. Il avait donc demandé à Beaudin de prévoir avec moi un maximum de 10 heures de tournage, le tout entrecoupé de pauses et de plages de repos. Voyant que personne ne l'écoutait, il était arrivé un jour en plein tournage pour me chercher en menaçant de ne plus revenir. Il s'est fait une mauvaise réputation dans le milieu, mais en même temps fallait bien que quelqu'un me protège.»

La même année, l'enfant obtient un rôle dans Hold-Up, une comédie d'action tournée à Montréal et mettant en vedette celui qui est encore son idole aujourd'hui, Jean-Paul Belmondo. Mais plus le petit Guillaume tourne, moins il a de temps pour aller à l'école. Résultat? À 9 ans, Guillaume Lemay-Thivierge ne savait pas lire. Il avait fait son primaire dans une école alternative fondée par sa mère. Il quitta définitivement les bancs de l'école à la fin du primaire et fit tout son secondaire à la maison avec sa mère.

«Je n'ai peut-être pas d'instruction en tant que telle, plaide-t-il, mais j'ai une licence de pilote et une formation de gymnaste qui m'a valu une proposition du Cirque du Soleil pour faire partie de la distribution de K. J'ai aussi fondé mon entreprise de saut en parachute et là je viens d'emprunter 300 000 $ à la banque pour partir une nouvelle entreprise - un aerodium - avec l'inventeur Jean St-Germain. Tout ça pour dire que j'ai peut-être pas de diplômes, mais que j'ai appris tôt à me débrouiller. Et ce n'est pas fini. Il y a tant de choses que je veux faire, tant d'endroits que je veux visiter que je n'aurais pas assez d'une vie.»

Et être acteur, ça ne suffit pas? La réponse ne se fait pas attendre: «Non ça ne me suffit pas. Comprenons nous bien. Être acteur c'est mon dada, c'est mon dessert, c'est un métier que j'adore. Je suis fait pour ce métier-là, mais la vie et le monde sont vastes. Juste avant le tournage de Casino l'année dernière, je suis partie avec ma blonde (Mariloup Wolfe) en Asie pendant quatre mois. Quand tu te retrouves au sommet d'une montagne ou devant une rivière où deux moines se baignent au soleil levant, tu te rends compte qu'il y a d'autres choses dans la vie que de faire des films.»

De là à céder sa place sur la liste des 10 acteurs qui tournent le plus au Québec, il y a une limite que Guillaume Lemay-Thivierge ne franchira pas. Du moins pas tout de suite.