On est loin de La cigale et la fourmi dans le film animalier La cité interdite, où une armée de fourmis itinérantes attaque une termitière. Rencontre avec Philippe Calderon, l'homme qui a eu des millions de «comédiennes» à portée de lentille. Et qui a survécu.

Avec La cité interdite, le réalisateur Philippe Calderon a tourné un genre de guerre de Troie mais à l'échelle lilliputienne - les Troyens assiégés étant incarnés par des termites et les assaillants grecs, par des fourmis nomades. Le drame n'en est pas moins grand.

Sauf que, se rend-on compte rapidement au cours de cet affrontement sans merci, aucun Ulysse ou Hector, Achille ou Hélène, ne se démarque sur le front. Anonymes, les guerriers. Et pour cause: «L'anthropomorphisme est absolument impossible dans ce contexte parce que l'individu n'existe pas dans ces deux sociétés d'insectes. Même la reine ne commande rien, elle ne sert qu'à régulariser les odeurs», indique Philippe Calderon qui a tourné ce film animalier au Burkina Faso, jouant des codes de la fiction et du documentaire pour servir au public un grand spectacle... sur un monde minuscule.

La cité interdite raconte le quotidien d'une grande termitière. La reine, qui pond. Et pond. Et pond. Les ouvriers qui creusent les galeries, construisent les tunnels, s'occupent des larves, nourrissent le couple royal. Jusqu'au jour où survient le drame. Un orage. La foudre tombe sur l'arbre qui a poussé à proximité de la cité. La forteresse est affaiblie. Devient «prenable» pour la colonne de fourmis magnan qui passe à proximité. Elles se nourrissent de proies animales, se déplacent par millions, formant des colonnes pouvant atteindre 20cm de large par un kilomètre de longueur.

C'est bientôt le choc entre ces deux civilisations. Une guerre sans merci. À finir. Où l'on ne fait pas de prisonniers.

«Nous avons utilisé les codes du cinéma catastrophe pour faire découvrir le fonctionnement de sociétés d'insectes, un monde méconnu - mais de manière cinématographique et spectaculaire», indique Philippe Calderon qui a, depuis, tourné au Québec le conte animalier La rivière aux castors (à l'affiche en août).

À mi-chemin entre le documentaire et la fiction, La cité interdite , coproduit par Cité-Amérique, utilise donc la mise en scène et la fiction pour dramatiser, tout en suivant un scénario qui s'appuie sur des faits naturels et scientifiques. Par exemple, la branche qui mutile la termitière n'est pas tombée naturellement. L'équipe de tournage l'a... aidée. Par contre, les événements qui ont suivi, eux, sont survenus sans être arrangés avec le gars des vues.

«C'est ce qui est intéressant avec les insectes: ils ont un comportement très automatique. Donc, une catastrophe engendre une autre catastrophe, déclenche une série de causes à effets qui, dans le cas qui nous concerne, débouche sur l'attaque de la termitière par les fourmis nomades.»

Il n'a d'ailleurs pas fallu grand-chose pour «aider» ces fourmis à prendre la citadelle pour cible. En chemin, elles attaquent un serpent, font un pont pour traverser un cours d'eau, forment des grappes pour descendre ce qui, pour elles, est un ravin. Tout cela, sans complicité humaine aucune. L'instinct, toujours.

«Ce qui nous intéressait, c'était de jouer sur la société sédentaire contre la société nomade. Du point de vue des sédentaires parce que, dramatiquement, le point de vue de l'assiégé est plus intéressant que celui de l'agresseur», poursuit Philippe Calderon. Qui a aussi aidé la nature afin d'obtenir les prises de vue dont il avait besoin pour ce spectacle à grand déploiement - car c'en est un.

Dans un studio construit à proximité du lieu de tournage principal, «nous avons reconstitué une termitière à l'aide de morceaux de vraies termitières. Cela nous a permis de filmer ce à quoi nous n'avions pas accès à l'extérieur. Nous avons fait du vrai faux et du faux vrai.»

Pour mettre le tout en perspective, un outil qui permet d'être à hauteur d'insecte tout en pouvant voir, en même temps, la ligne des montagnes derrière l'insecte. «On rejoint ainsi le code du peplum: on voit aussi clairement le légionnaire que la colonne romaine», résume le réalisateur. Rappelant toutefois que, dans le contexte de La cité interdite, on est plus dans une histoire de cyborgs que dans Flags of our Fathers ou Apocalypse Now.

La cité interdite prend l'affiche le 1er juin