Au même titre que David Cronenberg ou Atom Egoyan, Sarah Polley incarne l'image du cinéma canadien-anglais dans le monde. Après s'être imposée à coups de rôles exigeants, l'actrice révèle aujourd'hui une vraie personnalité de cinéaste avec Away from Her.

Elle est à peine âgée de 28 ans mais elle compte déjà plus de 20 années de métier. Autant dire qu'elle vit sous les projecteurs depuis toujours. À l'époque où elle était l'enfant vedette de la série The Road to Avonlea, Sarah Polley ne prenait pourtant pas encore vraiment ce métier très au sérieux. La «vocation», la vraie, allait venir plus tard.

«Tout cela me semblait frivole, vraiment sans importance par rapport à la véritable souffrance des gens», déclarait-elle en 1999 au cours d'une entrevue qu'elle nous avait alors accordée. Cette période de la vie de l'actrice était notamment marquée par un militantisme assez vigoureux, né d'une féroce envie de dénoncer les politiques du gouvernement ontarien, dirigé alors par Mike Harris.

Il en a coulé de l'eau sous les ponts depuis. Jamais prête à tout sacrifier au saint autel du vedettariat (elle a refusé dans Almost Famous le rôle qu'a finalement joué Kate Hudson), Sarah Polley est devenue une actrice à part entière sur le plateau de The Sweet Hereafter d'Atom Egoyan.

Celle dont ont dit parfois qu'elle est au Canada ce que Pascale Bussières est au Québec s'est imposée sur la scène internationale à coups de rôles exigeants, dans des films généralement signés par de véritables auteurs. Parmi eux, David Cronenberg (eXistenz), Hal Hartley (No Such Thing), Wim Wenders (Don't Come Knocking), de même qu'Isabel Coixet, avec qui elle a tourné deux de ses films les plus marquants (My Life Without Me, The Secret Life of Words).

Aujourd'hui, Sarah Polley fait ses débuts de réalisatrice avec Away from Her, un film qui, après avoir été formidablement bien accueilli au Festival de Toronto l'an dernier, a aussi été présenté à Sundance et à Berlin. Adapté de L'ours traversa la montagne, une nouvelle d'Alice Munro, le film raconte l'histoire d'amour d'un couple - marié depuis 45 ans - dont la dynamique change le jour où la maladie d'Alzheimer s'invite sans crier gare.

«Avant d'être un film sur la maladie, j'y vois surtout une grande et belle histoire d'amour, précisait Sarah Polley un peu plus tôt cette semaine au cours d'une conversation téléphonique. Cette nouvelle d'Alice Munro illustre à mon sens le sentiment amoureux dans toute sa complexité. J'ai été bouleversée par la façon avec laquelle l'auteure aborde les thèmes de la mémoire, de la culpabilité, de la durée. Dès la lecture, j'ai tout de suite vu le film qui pouvait être tiré de cette histoire.»

L'actrice dit ne pas être en mesure de rationaliser la pulsion qui l'a décidé à franchir le pas de la réalisation. Cela dit, elle évoque quand même des recoupements qui ont fait en sorte que cette histoire relevait pour elle de l'évidence.

«Peut-être est-ce dû au fait qu'au moment où j'ai lu cette nouvelle, je m'engageais de mon côté dans une nouvelle relation amoureuse. Les questions posées dans ce récit étaient forcément très évocatrices.» Ayant perdu sa propre mère très jeune, l'actrice cinéaste explique que l'histoire du film la renvoyait aussi à l'époque où son père Michael, lui aussi acteur, a dû composer avec la perte de celle qu'il aimait.

«Je n'en ai pris conscience que plus tard, mais le point central du film est justement axé sur le sentiment de perte que ressent le mari.»

Face à la réalité

Sarah Polley n'a évidemment pas investi quelques années de sa vie que pour ces raisons-là, mais le fait de mettre en scène des personnages plus âgés était loin de lui déplaire. Away from Her met en effet en vedette Julie Christie, Gordon Pinsent et Olympia Dukakis, trois vétérans qui ont depuis longtemps dépassé l'âge de jouer les héros romantiques. Polley les filme pourtant dans toute leur beauté, leur sensualité, sans ne rien sacrifier de leurs contradictions ou de leurs travers. Sa mise en scène, attentive, épouse aussi le rythme de ces vies dont les fragments défilent désormais à vitesse plus modérée.

«Je ne l'ai pas fait de manière consciente, mais il est vrai que j'aime cet aspect du propos. Quand on montre des gens plus âgés à l'écran, on a souvent tendance à sucrer inutilement la dose. Comme si, dès lors, toutes leurs zones d'ombre étaient disparues, y compris sur le plan sexuel. Cela ne correspond pas tellement à la réalité, je crois.»

Aussi trouve-t-elle injuste la discrimination dont sont victimes les interprètes plus âgés.

«C'est d'autant plus dommage que très souvent - pas toujours - les acteurs se bonifient en vieillissant. Or, le public n'a pas l'occasion de s'en rendre compte car on ne les voit pratiquement plus. C'est particulièrement flagrant dans les cas des femmes. Je me suis sentie privilégiée de pouvoir travailler avec deux actrices au sommet de leur art.»

Étonnée par la réception qu'obtient son film de par le monde, Sarah Polley compte désormais faire de la réalisation une priorité. «Quand j'ai réalisé mon premier court métrage il y a huit ans, je trouvais déjà que je n'avais jamais rien fait d'aussi gratifiant. Ce sentiment n'a fait que s'amplifier au fil des ans.»

Malgré le succès international, Sarah Polley n'a aucune envie de s'exiler («Je suis heureuse à Toronto, pourquoi m'en irais-je?»), ni d'abandonner son métier d'actrice. Elle tournera cette année, notamment, sous la direction de Jaco van Dormael (Toto le héros). Le cinéaste belge, qui n'a rien offert depuis Le huitième jour il y a 12 ans, amorcera en effet bientôt le tournage de Mr. Nobody.

En attendant, Sarah Polley sera membre du jury que présidera Stephen Frears lors du 60e Festival de Cannes. «Chacun entretient son fantasme aussi ridicule qu'inaccessible, commente l'actrice cinéaste. Moi c'était celui d'être membre du jury du plus grand festival de cinéma du monde. La réaction que j'ai eue quand on m'a fait cette proposition ne se décrit même pas!»