L'intrigue du nouveau film de Gavin Hood met en exergue les pouvoirs spéciaux qu'utilisent les autorités américaines pour interroger à l'extérieur du pays ses ressortissants qu'elle soupçonne de terrorisme. Toute ressemblance avec la réalité n'est évidemment pas fortuite.

Rendition s'inscrit dans toute cette nouvelle mouvance de films très critiques à l'égard de la politique étrangère de l'administration américaine.

À Hollywood, le vent a sensiblement tourné. Alors que plusieurs productions sortant de l'usine à rêves s'inscrivaient dans l'effort de guerre au moment où les hostilités furent déclenchées en Irak, voilà que les créateurs se permettent aujourd'hui d'afficher haut et fort leur dissidence. Si certains observateurs tendent à penser que le mouvement aurait dû être lancé bien plus tôt, Jake Gyllenhaal, l'une des vedettes de Rendition, ne partage pas tout à fait cet avis.

«Selon moi, on peut commencer à se faire une idée plus juste d'une problématique seulement à partir du moment où l'on prend un peu de recul, déclarait récemment l'acteur au cours d'une conférence de presse tenue à Los Angeles. Dans les années 60 et 70, les oeuvres évoquant la guerre du Vietnam sont arrivées bien après le début du conflit. Dans le cas de l'Irak, il aura fallu cinq ans. C'est quand même assez rapide!»

Le scénariste Kelly Sane estime de son côté que ce «vacuum» (c'est son expression) de cinq années n'a rendu service à personne. Même si le recul nécessaire pour aborder de front la guerre en Irak manquait, il aurait quand même fallu, selon lui, questionner l'autorité davantage. «Mais après le 11 septembre, personne n'a osé s'avancer sur ce terrain», dit-il.

Forcément, un film comme Rendition (Détention secrète en version française) est appelé à susciter de vives discussions. Il a en son centre une problématique controversée, révoltante pour les uns, nécessaire pour les autres: l'utilisation de la torture au nom de la sécurité nationale.

Réunissant une distribution de haut vol, parmi laquelle on retrouve, outre Jake Gyllenhaal, Reese Witherspoon, Alan Arkin, Meryl Streep et Peter Sarsgaard, le film relate les déboires d'un Américain d'origine égyptienne (Omar Metwally) qui, au retour d'un voyage en Afrique du Sud, est intercepté à l'aéroport de Washington. Forcé à monter dans un avion en partance vers une destination inconnue, ce dernier est jeté dans une prison «fantôme» située quelque part au Moyen-Orient. Il y est questionné. Et violemment torturé.

L'opération ayant lieu dans le plus grand secret, l'homme est tout simplement porté «disparu» auprès de sa famille, notamment sa femme (Witherspoon). Enceinte de plusieurs mois, cette dernière devra utiliser toutes les ressources nécessaires pour tenter de comprendre les tenants et aboutissants de ces pouvoirs spéciaux qu'utilise discrètement le gouvernement américain quand il soupçonne ses propres ressortissants de terrorisme.

«Je me suis posé beaucoup de questions après avoir lu ce scénario, concède le réalisateur sud-africain Gavin Hood. À vrai dire, j'ai été très troublé. C'est un peu comme si les pays occidentaux se dédouanaient de leurs responsabilités. Comme si l'utilisation de la torture revêtait pour eux un caractère plus légitime à partir du moment où les interrogatoires ont lieu dans un territoire étranger. Moi qui ai grandi dans un pays qui n'avait pas de Constitution, je trouve déplorable qu'une loi aussi fondamentale que la constitution américaine soit dépouillée de ses citoyens au profit d'une idéologie.»

De véritables enjeux

Pour se préparer à se glisser dans la peau d'un agent de la CIA qui assiste en témoin aux interrogatoires pour le moins «musclés», Jake Gyllenhaal a parlé à des gens directement impliqués dans ce genre d'opérations. «J'ai aussi regardé beaucoup de films dans lesquels on explique la démarche d'une organisation comme la CIA, tant des documents que des longs métrages de fiction. À mon avis, l'un des meilleurs à avoir été fait sur le sujet est tout récent. Il s'agit de The Good Shepherd de Robert DeNiro. La performance de Matt Damon m'a carrément servi de modèle!»

Tourné en partie au Maroc, le film met aussi à contribution l'expertise d'une équipe internationale, tant devant que derrière la caméra. Le sujet épineux autour duquel le récit s'articule a suscité en outre de nombreux débats sur le plateau.

Gavin Hood, qui a obtenu l'Oscar du meilleur film en langue étrangère l'an dernier grâce à Tsotsi, y voit d'ailleurs un signe très positif.

«Je sais fort bien que certains commentateurs vont tomber dans le panneau de la propagande de droite et remettront en question notre «patriotisme». À ceux-là, je dirai que l'époque du «avec nous ou contre nous» est révolue. Pour ma part, j'ai toujours cru que les humains partageaient beaucoup plus de choses en commun que de points de discorde. Je le crois sincèrement.»

Aussi le cinéaste a-t-il voulu laisser le soin au spectateur de tirer ses propres conclusions en exposant une réalité peu connue du grand public.

«C'est aussi à cela que sert le cinéma, déclare Hood. Il faut en effet proposer des films qui, tout en divertissant, font écho à de véritables enjeux. Même si tout n'est désormais axé que sur les profits dans cette industrie, une oeuvre doit aussi pouvoir s'inscrire dans la durée. Il faut parfois avoir le courage de s'attaquer à ce genre de production.»

«Et c'est précisément la raison pour laquelle le prochain film de Gavin Hood sera Wolverine!» a conclu Jake Gyllenhaal dans l'hilarité générale.

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Rendition (Détention secrète en version française) prend l'affiche vendredi. Les frais de voyage ont été payés par Alliance Vivafilm (New Line Cinema).