La vie de Marita Lorenz n'a rien d'un long fleuve tranquille. Prise dans les tourments de l'histoire du XXe siècle, Marita Lorenz a connu les camps de concentration, les débuts de la révolution castriste et la cuisine interne de la CIA. Le destin fantasque de cette ex-espionne sera porté à l'écran par la compagnie montréalaise Locomotion, en coproduction avec la française Gaumont, a appris La Presse.

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Sa vie est un roman d'aventure, et aussi un roman d'amour qui finit mal. Marita Lorenz, 67 ans, est née en pleine débandade allemande. Enfant, elle est déportée vers un camp de concentration, où elle sera violée par un soldat. Adulte, elle tombe amoureuse de Castro, a un enfant avec le dictateur Jimenez, se marie avec un agent du FBI et passe la majeure partie de sa vie dans les services secrets américains.

Pareil scénario, s'il était sorti de la plume d'un scénariste, aurait eu du mal à se trouver un producteur. Le film sur Marita Lorenz, actuellement en préparation, réunit pas un, mais deux producteurs: la maison québécoise Locomotion Films, et la maison française Gaumont. Budget : 10 millions. Au scénario, Doug Taylor. Et en conseillère, Marita Lorenz elle-même.

«Ce qui a pesé dans sa décision, c'est que nous sommes canadiens. Il y a ici tout un contexte qui la met à l'aise», révèle Brigitte Janson, productrice chez Locomotion Films.

«Je n'ai jamais tout dit à tout le monde, mais cette fois-ci, c'est ce que je vais faire», promet doucement Marita Lorenz. L'exagente de la CIA vit quelque part aux États- Unis. S'il ne nous a fallu que quelques jours pour être mis en contact téléphonique avec elle, retrouver l'ancienne maîtresse de Castro avait demandé plusieurs années au cinéaste Wilfried Huismann, auteur de Cher Fidel, sorti en 2000.

«Huismann a fait un très bon documentaire sur moi, ainsi qu'un livre. Dans ce pays, il est le seul avec qui j'ai pu parler», raconte Marita Lorenz. Le documentaire avait attisé la curiosité de plusieurs cinéastes, dont Oliver Stone. «Il allait faire le projet, mais ça ne s'est pas fait. Nous sommes toujours amis, mais j'ai finalement choisi de travailler avec les Québécois. Tout ce qui n'a pas été dit ou montré va l'être», se réjouit-elle.

Tout? Tout. D'abord, il y a l'enfance, passée en Allemagne entre un père allemand, une mère américaine, elle-même recrue de la CIA. Il y a les voyages avec le père, puis il y a le coup de foudre, lors d'une escale à Cuba, le 27 février 1959. «Je n'avais jamais eu d'aventure avant de rencontrer Fidel. Ça a changé ma vie», dit, intarissable sur le sujet, Marita Lorenz.

Contre l'avis de ses parents, Marita Lorenz quitte les États-Unis pour s'installer à La Havane. Parmi ses amis, le Che. Dans son coeur, Castro. «Il était très enthousiaste, très heureux, très fier de ses réalisations, mais il était bouleversé aussi. Politiquement il était naïf. Il était très drôle, il ne dansait pas. Il était jaloux, il était adorable», se souvient Marita Lorenz.

À Cuba, la jeune femme s'installe au 24e étage du Hilton de La Havane, dans le QG de Castro. «Je répondais à son courrier, à son téléphone, je faisais des traductions. Je l'ai attendu. Moi aussi, j'étais très jalouse, mais je savais qu'il appartenait à Cuba», dit-elle.

La passion finira en drame. Marita Lorenz, enceinte, est forcée d'avorter dans des conditions qui restent aujourd'hui mystérieuses. De retour aux États-Unis, elle est enrôlée par la CIA, avec une mission: tuer Castro. «La CIA m'a tellement lavé le cerveau, ils m'ont donné des drogues, ordonné de tuer Castro pour honorer ma citoyenneté américaine», dit-elle.

À Cuba, Marita Lorenz retombe pour la dernière fois dans les bras deCastro, et refuse de l'empoisonner. «Si ça avait été quelqu'un d'autre que moi, cette personne aurait pu changer le cours de l'histoire. Mon amour pour Fidel m'a rendu impossible l'idée de lui ôter la vie», dit-elle, aujourd'hui.

La CIA ne lui pardonnera jamais d'avoir raté cet assassinat politique. «Ils ont ruiné ma vie, depuis ce jour», résume-t-elle. Elle part en mission pour la CIA puis le FBI, avant de devenir la maîtresse du dictateur vénézuélien Marcos Péres Jimenés avec qui elle a une fille, avant de se marier avec un agent du FBI.

«Chaque fois que j'ai essayé de m'en sortir, de me marier, la CIA a toujours tout détruit. Et ils ont fait du bon travail», soupire Marita Lorenz, qui vit aujourd'hui très modestement.

Pour le tournage du documentaire de Wilfried Huismann, Marita Lorenz est retournée à Cuba. Elle n'a pas revu Fidel, mais a dû se justifier de sa visite auprès des autorités américaines. «C'est difficile d'envoyer des lettres à Cuba. Je le faisais aux États-unis, mais j'ai été menacée. Je ne veux pas causer d'incident diplomatique, alors mes amis à Montréal les font suivre», soupire-t-elle.

Aujourd'hui, Marita Lorenz rêve d'un retour en Allemagne. «Tout ce que je veux maintenant, c'est vivre ma vie tranquillement, me promener avec mes chiens, dit-elle. J'ai eu une vie très intense, j'ai rencontré beaucoup de gens, j'ai vécu et aimé différents pays. Je crois que ma vie devrait être une leçon. Peu de gens savent à quel point la CIA est dégueulasse.»