Son épouse à lui est atteinte de cancer. Son conjoint à elle également. Ils se rencontrent à l'hôpital. Un homme et une femme. Ils sont «ceux qui restent». La réalisatrice Anne Le Ny les raconte.

Anne Le Ny est comédienne. De cinéma. De théâtre. Femme habituée à porter les mots des autres, elle a éprouvé le besoin, un jour, de poser les siens sur la page. Elle a écrit le scénario de Ceux qui restent. Puis, a décidé de le réaliser «parce que je me suis rendu compte que si je le confiais à quelqu'un d'autre, j'allais être frustrée de partout», confiait-elle en novembre à La Presse, alors qu'elle était de passage à Montréal avec Emmanuelle Devos, présidente d'honneur de Cinémania et vedette du film avec Vincent Lindon.

Ceux qui restent, c'est l'histoire d'un homme et d'une femme, Bertrand et Lorraine, qui ne se seraient jamais rencontrés si le cancer n'avait pas frappé leurs conjoints respectifs. Ils se croisent dans les couloirs de l'aile de l'hôpital réservée aux cancéreux. Se lient d'amitié. Peut-être d'un peu plus. «Je me demandais ce qui, en 2007, pouvait être un amour moralement impossible... mais dans des circonstances pas banales: elle est croate, il est kosovar», raconte Anne Le Ny, qui s'est aussi donné un petit rôle dans le film et trouvait intéressant «de se pencher sur ces gens qui sont un peu les dommages collatéraux, et d'explorer leur culpabilité.» Ce, de deux manières: d'un côté, le «vieux» couple dont l'un des conjoints tombe malade; de l'autre, le couple de fraîche date dont l'un des deux membres se retrouve à l'hôpital.

Et ce n'est pas par hasard, absolument pas, si c'est une femme qui vit la seconde situation. Elle, qui n'accepte pas. Ne compatit pas (trop). Elle qui affirme, quand elle apprend que Bertrand soutient sa femme depuis cinq ans, qu'elle, ne tiendrait pas aussi longtemps. Pas même cinq mois. Qu'elle a même de la difficulté à tenir cinq jours, cinq heures. «Au cinéma, pour accéder au statut d'héroïne, les femmes ont en gros le choix entre le sacrifice ou le dévouement, affirme la réalisatrice. On attend d'elles qu'elles soient l'infirmière, qu'elles soient dans l'abnégation, dans la négation d'elles-mêmes. Ça me terrifie un peu.»

D'où le personnage de Lorraine. Pour laquelle Emmanuelle Devos a eu le coup de foudre. Après tout, les contraires s'attirent. Et il y a peu en commun entre l'actrice et «la fille speed» qu'elle incarne. «La proposition est arrivée à point: j'avais envie d'aller vers des rôles plus extravertis. Et puis, je trouvais le sujet du film et les propos de Lorraine très gonflés», expliquait la comédienne à La Presse l'automne dernier.

Entre rire et larmes

Il fallait, pour que ce sujet et ces propos tiennent la route, un scénario flirtant avec le rire et les larmes. Équilibre délicat. À son clavier, Anne Le Ny en a été consciente. Du début à la fin. «J'ai marché sur cette ligne mince entre le pathétique et la comédie, raconte-t-elle. Je me méfiais du truc tire-larmes... parce que je n'aime pas ça en tant que spectatrice. Je ne voulais pas, non plus, que mes personnages pleurent. On le voit avant ou après les sanglots.»

Comme on les voit avant ou après qu'ils poussent la porte de la chambre où reposent les malades. Ceux qui restent n'est pas un film sur la maladie, mais un film sur la culpabilité et le deuil. «Un film sur la vie, sur la façon dont on s'accroche à elle.

Sur ces moments durs où... on ne rit pas forcément moins parce que, dès qu'il y a la possibilité de se raccrocher à quelque chose d'autre, on a tendance à s'engouffrer dedans plus qu'on ne le ferait en temps normal», poursuit la réalisatrice qui a souhaité explorer la souffrance de ces gens qui «n'ont pas le droit de souffrir... parce qu'ils accompagnent un proche en danger de mort. Ces gens qui ont pourtant leurs difficultés. Et leur lâcheté.»

Elle espère que les spectateurs les regarderont avec bienveillance. Un sentiment qui l'a accompagnée quand elle les a créés. Qui a aussi habité Emmanuelle Devos quand elle a endossé le rôle de Lorraine. Et qui, oui, traverse l'écran pour se poser sur le public.