Selon Michael Haneke, la situation s'est aggravée depuis 10 ans sur le plan de la représentation de la violence dans les médias. À ses yeux, la version américaine de son propre film Funny Games se révèle aujourd'hui encore plus pertinente qu'à l'époque de la première mouture.

Un peu plus tôt cette semaine, Michael Haneke était à New York afin d'assurer la promotion de Funny Games, une copie conforme d'un film qu'il avait déjà écrit et réalisé lui-même en 1997. Tourné alors en langue allemande, Funny Games avait administré un véritable électrochoc aux festivaliers cannois cette année-là. La vision radicale du cinéaste autrichien - et sa façon de confronter directement le spectateur au thème de la représentation de la violence au cinéma - avaient provoqué là-bas des réactions très viscérales. Le cinéma de Haneke, de Benny's Video jusqu'à Caché, en passant par La pianiste, ne laisse jamais personne indifférent.

Quand on lui demande, au beau milieu d'une interview réalisée au téléphone, s'il prend un plaisir particulier à présenter son «nouveau» film aux médias américains, Haneke éclate de rire. «Vous n'avez pas idée à quel point, dit-il. J'ai l'impression d'être à l'intérieur du cheval de Troie et qu'ils ne se doutent encore de rien!»

À l'époque du premier Funny Games, Haneke aurait bien voulu présenter son film au public auquel il était d'abord destiné. Le but de l'exercice étant de faire prendre conscience au spectateur du rôle qu'il joue lui-même dans la chaîne de consommation de la violence, le public américain était en effet le premier visé. Or, un film tourné en langue allemande par un cinéaste dont la réputation ne circulait à l'époque que dans les milieux plus branchés, ne pouvait évidemment pas aspirer à une distribution digne de ce nom en territoire nord-américain. Même au Québec, la première mouture de Funny Games n'a fait l'objet que de quelques représentations spéciales.

«Quand un producteur américain est venu me voir pour me suggérer de refaire moi-même le film en anglais, j'ai réfléchi pendant un moment, précise Haneke. Puis, je me suis dit que l'idée pouvait être bonne, à la condition de refaire exactement la même chose. J'estimais qu'il n'y avait rien à rajouter. Je trouvais aussi que la façon la plus honnête de faire ce remake était de proposer une copie conforme de l'original. J'avais aussi une autre condition: que Naomi Watts reprenne le rôle qu'a créé Susanne Lothar.»

Parmi les comédiennes d'expression anglaise, l'actrice australienne constituait le seul choix valable aux yeux du cinéaste. Watts se glisse ainsi dans la peau de cette femme sans histoire qui, alors qu'elle passe ses vacances dans un endroit paisible en compagnie de son mari (Tim Roth) et de son fils, est plongée dans un cauchemar total. Deux jeunes hommes bon chic bon genre (Michael Pitt et Brady Corbet) font en effet intrusion dans le domicile qu'ils occupent. Et décident de s'adonner avec eux à des jeux aussi sadiques que révoltants.

Situation encore pire

Pour Michael Haneke, Funny Games est encore plus d'actualité aujourd'hui qu'à l'époque où il fut proposé pour la première fois au public international.

«Par rapport à la représentation de la violence dans les médias, je crois que la situation est encore pire qu'il y a 10 ans, estime l'auteur-cinéaste. Il est maintenant devenu chic et de bon goût pour les cinéastes - et aussi les critiques - de donner son aval à des productions dans lesquelles la violence extrême a pour fonction de divertir. Cela relève pourtant, à mon sens, de la véritable pornographie. Les Américains ont d'ailleurs donné le nom de « torture porn» à ce sous-genre. Dès lors que l'on fait de la violence une marchandise à consommer, on la banalise.»

Enseignant le cinéma depuis cinq ans à l'Université de Vienne, Haneke dit être à même de constater cette banalisation. «La réflexion qu'ont mes étudiants sur le sens d'une image violente - et de l'utilisation qu'on en fait - est plutôt limitée», déplore-t-il.

L'auteur-cinéaste, dont les films distillent une telle tension que certains spectateurs les trouvent carrément insoutenables, ne montre pourtant jamais les choses de front.

«Tous les actes violents se déroulent à l'extérieur du champ de la caméra, fait-il remarquer. Si je faisais autrement, je tomberais à pieds joints dans le piège que je dénonce!»

En mettant en chantier cette version américaine de Funny Games, pour laquelle le cinéaste Lodge Kerrigan (Keane) a agi à titre de consultant au scénario, Haneke envisageait au départ la réalisation de ce projet comme une simple formalité.

«Or, il appert que ce fut le tournage le plus difficile auquel je me suis jamais attaqué! lance-t-il. Quand on décide de refaire un film en en respectant l'intégrité, on ne peut se permettre, comme on peut le faire lors d'un tournage normal, de couper une scène qui ne fonctionne pas. La pression est trop forte. Il faut que la scène existe.»

De nouveau l'allemand

Aussi très sollicité à l'opéra, où ses mises en scène «controversées» font autant parler que ses films, Michael Haneke s'apprête à tourner à l'été son premier long métrage en langue allemande depuis Funny Games en 1997. «Parce que le sujet l'exige, explique le réalisateur. L'intrigue de Das Weisse Band est campée dans un petit village du nord de l'Allemagne avant la Première Guerre mondiale et s'attarde au système d'éducation duquel a émergé la génération nazie.»

Haneke avait d'ailleurs écrit ce film pour son ami Ulrich Mühe, un acteur extraordinaire avec qui il avait déjà travaillé trois fois, notamment pour Funny Games. Or, Mühe, qui fut révélé sur la scène internationale grâce à La vie des autres, est mort l'an dernier.

«C'est une catastrophe, laisse tomber Haneke. Ulrich était un ami très proche. J'ai évidemment dû faire appel à un autre acteur - tout aussi talentueux - mais ce sera forcément différent.»

Quand il a le choix, Michael Haneke préfère par ailleurs travailler en France. «C'est plus facile qu'en Autriche, dit-il. Et puis là-bas, les artistes sont mieux respectés. Un cinéaste est mis sur le même pied qu'un poète ou un écrivain. Ce n'est pas du tout le cas en Autriche.»

Pour ce qui est de l'accueil que recevra son nouveau Funny Games en Amérique, Haneke ne sait pas du tout à quoi s'attendre. «Mais je souhaite être surpris, dit-il. Je crois qu'en général, le public américain est plus raffiné qu'on ne le croit.»