«Il est trop tôt ce matin pour répondre à cette question!» lance en riant Anthony Minghella lorsqu'on lui demande s'il considère l'amour comme la plus grande aventure de la vie d'un homme.

C'est que, après The Talented Mr. Ripley et surtout The English Patient, le cinéaste britannique nous revient avec Cold Mountain, une autre grande histoire d'amour, encore une fois malmenée par la folie guerrière des hommes.

On se souvient que dans The English Patient, qui se déroulait pendant la Deuxième Guerre mondiale, un homme faisait tout pour sauver celle qu'il aime de la mort, allant même jusqu'à trahir son pays qui, de toute façon, le considérait comme un étranger. Dans Cold Mountain, qui se passe pendant la guerre de Sécession américaine (1861-1865), un soldat confédéré décide de déserter l'armée pour retourner dans son village de la Caroline du Nord où une femme l'attend depuis quatre ans.

«Je voulais mettre en images la célébration de la capacité d'aimer des gens, plutôt que leur capacité à se faire violence entre eux, explique Anthony Minghella», joint la semaine dernière à Toronto où il était heureux de retrouver un cercle d'amis, parmi lesquels il compte l'écrivain Michael Ondaatje, l'auteur de The English Patient, dont l'adaptation cinématographique a valu à son réalisateur neuf Oscars et des millions de spectateurs.

«Cold Mountain est un plaidoyer pour les solutions non violentes, poursuit-il, des solutions qui résolvent des problèmes sans les armes, c'est-à-dire l'amour, la compassion et l'écoute. Je pense que le fait de s'accrocher à une promesse qu'on a faite est plus inspirant que la confrontation et les conflits. L'amour dure plus longtemps que la cruauté. C'est banal à dire, mais j'y crois.»

C'est pourquoi l'aspect politique et historique de Cold Moutain est périphérique à l'histoire personnelle des personnages, même s'ils sont touchés de plein fouet par les événements. «Je ne voulais pas faire un film sur la guerre ou un document sur la guerre civile, précise-t-il, mais sur la manière dont elle touche les gens au-delà du champ de bataille, dans les maisons et les familles. Je n'étais pas tellement intéressé à opposer une histoire d'amour à la guerre, mais par la recherche d'une humanité. Parce que lorsque la mort est proche, la vie devient urgente. La guerre civile américaine est la première guerre moderne et elle fut incroyablement destructrice. À notre époque, nous avons tendance à masquer cette réalité par des formules plaisantes comme dommages collatéraux, qui veut dire en fait la mort de civils.»

Cold Mountain a demandé quatre ans de la vie d'Anthony Minghella. «Cela représente tout ce que je sais faire, en un sens, dit-il après un long silence. J'ai mis mon coeur et mon âme dans ce film, et ça a pris le coeur et l'âme de l'équipe. Ça représente ce que je suis dans le monde et ce que je pense du monde dans lequel je vis, dans le sens le plus artistique dont je suis capable. Je veux être un artiste qui fait des films qui touchent les gens, et qui les fait penser et s'émouvoir. Je ne veux pas faire des documents historiques et pédagogiques.»

Est-ce la raison pour laquelle la musique prend autant d'importance dans cette histoire? Qu'elle constitue un peu le ciment de la réunification sociale? «Je voudrais bien le penser, répond le cinéaste, grand mélomane et musicien lui-même. Je voudrais pouvoir dire que la musique est le meilleur de nous-mêmes.»

Le maître de l'adaptation

Si Anthony Minghella a travaillé quatre ans à son projet, c'est en grande partie en scénarisant le roman à succès de Charles Frazier, qu'on disait difficile à adapter. «Si vous avez à passer plusieurs années de votre vie sur un matériel, ce doit être un matériel que vous aimez et que vous respectez, croit-il. Dans ces circonstances, vous ne tentez pas d'améliorer le roman, vous ne voulez que lui rendre justice.»

L'adaptation est l'un des points forts du cinéaste, comme en témoigne la réussite de The English Patient, mais aussi de The Talented Mr. Ripley, né d'un roman de Patricia Highsmith. C'est pendant ce dernier film qu'il a découvert le talent de Jude Law, qui incarne Inman dans Cold Mountain. Le film compte aussi au générique les deux rivales de la soirée des Oscars de l'an dernier, Nicole Kidman et Renée Zellweger, dont les personnages font preuve l'un envers l'autre d'une grande solidarité. «C'était merveilleux de faire un film où deux femmes ne sont pas rivales ni jalouses l'une de l'autre, souligne Anthony Minghella, qui insiste pour dire qu'au-delà de l'histoire d'amour de Cold Mountain, il y a surtout l'amitié. L'amour est important, mais l'amitié l'est encore plus. Le film se termine avec des amis, pas des amants.»

L'autre difficulté de Cold Mountain fut de tourner le film en Roumanie, le seul endroit où les paysages correspondaient à ce qu'était la Caroline du Nord au siècle dernier, selon le cinéaste. «C'était splendide mais vraiment difficile, avoue-t-il. Car il n'y a pas d'industrie cinématographique là-bas. Vous avez à inventer les infrastructures à mesure que vous tournez. Nous avons tout construit, les maisons, les villes, les fermes, en plus d'être les otages de la température!»

Finalement, dans le contexte américain de la guerre en Irak, n'est-ce pas un peu risqué de lancer un film dans lequel un homme déserte son armée pour aller rejoindre la femme qu'il aime? «On ne m'avait pas posé cette question! Disons que dans le cas de la guerre civile dans Cold Mountain, la guerre a atteint un sommet si chaotique que plusieurs hommes désertaient. On leur avait dit qu'ils allaient à la guerre pour quelques semaines et quatre ans plus tard, ils avaient perdu la guerre et ils continuaient la boucherie.»

«Je pense que beaucoup d'hommes ont senti qu'on avait besoin d'eux à la maison, et non sur un champ de bataille. Inman est un vrai personnage qui a existé, mais des centaines d'hommes à l'époque on senti que leurs maisons, leurs fermes, leurs femmes et leurs enfants étaient abandonnés. Ce n'est pas un message pour les soldats américains en Irak, mais je mentirais si je ne disais pas que le film véhicule un fort sentiment antiguerre, car il y en a un. Disons que je crois aux valeurs des Nations unies, de la diplomatie et non aux valeurs des armes.»