Sept mois après avoir déclaré son amour au public montréalais et l'avoir demandé en mariage, le cinéaste belge Nic Balthazar flotte toujours sur le même nuage. Le Grand Prix des Amériques du Festival des films du monde de Montréal a changé le cours de son existence.

Le dimanche 26 août 2007. Dès 9h, le public du Festival des films du monde de Montréal s'apprête à découvrir en primeur mondiale le premier long métrage issu de l'imagination d'un auteur-cinéaste dont il n'a jamais entendu parler auparavant. En guise de point de repère, un titre égaré dans le programme, Ben X, accompagné d'un nom, Nic Balthazar, qui évoque franchement plus un conte séculaire qu'une nouvelle mouvance du jeune cinéma flamand. Le synopsis laisse par ailleurs deviner une interconnexion entre la dure réalité et le monde virtuel.

Quatre-vingt-dix minutes plus tard, le cinéma Impérial résonne d'une ovation qui dure plusieurs minutes. De nombreux spectateurs se lèvent même spontanément pour applaudir. Les festivaliers les plus expérimentés commencent à fouiller dans leur mémoire pour chercher un film inscrit dans la compétition du FFM ayant déjà soulevé une telle ferveur. Cela ne s'était pas vu depuis au moins 10 ans.

Dès lors, la presse montréalaise emboîte le pas, enthousiasmée à l'idée de trouver si tôt dans la course un prétendant aussi solide à la récompense suprême. Une semaine plus tard, Balthazar repartait avec, sous le bras, le Grand Prix des Amériques, qu'il a partagé avec le très beau film de Claude Miller Un secret (présenté au tout dernier jour de la compétition), mais aussi avec le prix du jury oecuménique, de même que le prix du film le plus populaire. Le soir de l'annonce du palmarès, Balthazar est submergé par cet élan d'affection. «Je suis complètement amoureux de vous, a-t-il lancé sur la scène du Théâtre Maisonneuve. Je veux me marier avec vous!»

«C'est vrai, j'ai vécu à Montréal les moments les plus incroyables de ma vie, rappelait Nic Balthazar un peu plus tôt cette semaine au cours d'une interview accordée à La Presse à la faveur d'une tournée de promotion en nos terres. Jamais je ne pourrai oublier ce qui s'est passé ici. Montréal est une ville tellement présente dans mon esprit que mon entourage se demande toujours pourquoi je ne me suis pas encore installé chez vous. Moi aussi, parfois, je me le demande!»

Le meilleur des deux mondes
Ancien critique de cinéma, Nic Balthazar est une personnalité médiatique bien connue des Flamands. Adepte des voyages (il anime à la télé une série consacré à différents endroits du monde), il connaissait déjà notre patelin bien avant d'y venir présenter Ben X. Force est d'admettre qu'en choisissant d'offrir la primeur mondiale de son film aux Québécois, l'homme a eu du flair. Lors de la conférence de presse du FFM, Balthazar a en outre déclaré qu'un sujet aussi dramatique que celui dont il est question dans Ben X était plus susceptible d'être accueilli avec une pointe de cynisme en Europe. En revanche, il existe ici à ses yeux un public nord-américain qui ne verse pas systématiquement dans ce «travers», tout en étant doté d'une sensibilité plus européenne. «C'est le meilleur des deux mondes!» avait-il dit. Ce qui pouvait alors passer pour un soupçon de flagornerie - fort compréhensible dans les circonstances - s'est révélé plutôt juste comme analyse.

Sorti récemment en Europe, Ben X est en effet loin d'avoir suscité là-bas les mêmes élans d'enthousiasme.

«Je savais ce que je disais en déclarant cela l'an dernier, fait remarquer Balthazar. J'ai été critique de cinéma moi-même et je connais très bien mes anciens confrères! Or, on a beaucoup plus de mal en Europe à souscrire à une démarche d'auteur qui, volontairement, tente aussi de rejoindre un plus large public.»

«À vrai dire, poursuit-il, les critiques sont là-bas beaucoup plus conservateurs qu'ils ne le pensent. Comme Ben X est davantage axé sur la culture de l'image, je crois qu'ils ont eu un peu plus de mal à s'abandonner. Ce qui m'attriste un peu, c'est qu'un film comme Ben X a besoin d'un soutien critique pour exister, surtout dans un pays comme la France par exemple. Même si les soirées d'avant-premières ont été accueillies par le public là-bas avec le même enthousiasme qu'à Montréal, il reste que le bouche-à-oreille ne peut pas se produire à propos d'un film comme celui-là s'il n'y a pas de rumeur critique au départ.»

Plusieurs formes
Nic Balthazar tire visiblement une fierté du fait que, maintenant vendu dans 46 pays, son film soit «né» à Montréal. «Même s'il a été conçu en Belgique», fait-il remarquer.

Ben X, rappelons-le, a en effet emprunté plusieurs formes au fil des ans. Ce projet est d'abord issu d'une proposition qu'on a faite à Balthazar «d'écrire un livre pour ceux qui ne lisent pas». Au même moment, un fait divers est venu le troubler: le suicide d'un jeune homme de 17 ans, atteint d'une forme légère d'autisme. Un acteur a ensuite suggéré à Balthazar de faire de cette histoire un monologue qui pourrait être joué sur scène. Deux cent cinquante représentations plus tard, la plus grande compagnie de production cinématographique flamande s'est engagée dans un projet d'adaptation pour le cinéma.

«Comme je n'arrête pas de recycler la même histoire, je travaille présentement à l'écriture d'un scénario en vue d'un remake aux États-Unis!» lance-t-il en riant.

Dès la présentation du film au FFM, Balthazar a en effet suscité l'intérêt de producteurs américains. «C'est un peu plus compliqué que je ne l'aurais cru au départ sur le plan logistique - je m'envole vers Los Angeles au cours des prochains jours - mais je me plais à penser que tout cela est parti de chez vous. Je le répète: j'ai vécu à Montréal la semaine la plus incroyable de ma vie!»

Pincez-le quelqu'un.

Ben X est présentement à l'affiche en version originale avec sous-titres français à l'Ex-Centris; en version française au Quartier latin.