C'est une histoire que personne n'oublie. Un tueur, 14 jeunes femmes mortes, des blessés. Depuis le 6 décembre 1989, le Québec pleure ses victimes, entame un deuil impossible, commémore. Près de 20 ans plus tard, le cinéma se penche pour la première fois sur la tuerie. Le réalisateur Denis Villeneuve raconte un film «organique». Voici Polytechnique.

Polytechnique, donc. Un drame sur lequel tout le monde a son avis. Pas encore fait, le film suscite des inquiétudes. Pas encore fini, il aiguise la curiosité, quand il n'attise pas les antagonismes. «Chaque fois qu'on parle de ce sujet-là, même avec des amis autour de la table, il y a toujours des frictions», constate Denis Villeneuve.

Dans Polytechnique, les événements du 6 décembre ressemblent à ceux du 6 décembre. Pendant près de deux ans, Denis Villeneuve et le scénariste Jacques Davidts ont glané leurs informations auprès des «gens de l'intérieur, (de) ceux qui étaient sur place». Dans Polytechnique toutefois, la réalité et la fiction se côtoient, mais ne se confondent pas.

«Le scénario a été écrit dans un grand souci d'authenticité. Mais en le tournant, tu te rends compte que tu fais de la mise en scène, avec des comédiens, tu fais de la fiction pure», dit Denis Villeneuve. Puis, plus tard, il explique: «J'essaie de faire le film avec le plus d'humilité possible.»

Non, Denis Villeneuve n'a pas rencontré la mère de Marc Lépine. «Ce n'est pas son histoire que je raconte», plaide-t-il. Pas plus qu'il n'a souhaité raviver la douleur des proches des jeunes femmes exécutées par Lépine. «Je ne suis pas rentré dans l'intimité des gens. Les noms sont changés, ce ne sont pas les mêmes personnages», prévient-il.

Denis Villeneuve propose son «interprétation», mais, dit-il, le film «est vraiment un truc collectif, ce n'est pas un trip d'ego». Le réalisateur loue ses collaborations avec Jacques Davidts, avec les comédiens Karine Vanasse et Maxime Gaudette, mais aussi l'expérience précieuse du directeur photo Pierre Gill.

«Moi, je suis habitué à filmer deux filles qui boivent de la tisane. Je ne suis pas habitué à filmer la guerre. Ça s'apprend. J'ai appris à l'apprendre, dit Denis Villeneuve. On avait toujours conscience de ce qu'on faisait. Il ne fallait pas que l'on soit dans l'esbroufe. Il ne fallait pas que l'on soit en spectacle, mais que l'on soit dans l'humilité.»

Un projet en constante évolution

Denis Villeneuve vient de s'attaquer au montage du film, pourtant, le tournage n'est pas encore tout à fait achevé. «Poly est un film organique. C'est un monstre, c'est un projet qui se construit au tournage, au montage», justifie-t-il. Le film n'a pas encore trouvé sa musique, ni son titre définitif. Le film change: «Le film est vivant», se félicite Villeneuve.

Le film est aussi protéiforme. Subtilités institutionnelles oblige, Polytechnique est tourné en français (avec l'appui de la SODEC), mais aussi en anglais (avec l'appui du programme anglais de Téléfilm Canada), grâce à l'enveloppe à la performance du producteur canadien Don Carmody (Chicago).

En dépit des contraintes évidentes de l'exercice, Denis Villeneuve s'est fait à l'idée d'un tournage anglophone et francophone. «J'étais fatigué de vivre avec un scénario pareil dans la tête. Je vivais autour de cadavres, j'étais fatigué de la violence. La solution n'est pas parfaite, mais je préférais cela à tourner dans trois ans.»

Faire un film à tout prix n'était pourtant pas l'obsession de Denis Villeneuve. Si le réalisateur s'était tenu loin du cinéma depuis Un 32 août sur Terre et Maelström, c'est parce qu'il a senti qu'il avait «atteint ses limites»: «Il n'y avait plus rien d'intéressant, c'était juste de l'esbroufe», dit-il.

Depuis, Denis Villeneuve dit avoir «appris sur la vie» et, plus important encore, trouvé des projets «qui se tiennent debout»: Polytechnique, donc, mais aussi Incendies, l'adaptation cinéma de la pièce du dramaturge Wajdi Mouawad, dont le tournage est prévu cette année.

«C'est étrange quand même Quand j'ai fini Maelström, j'ai dit bon, c'est fini les films sur les filles. Avec Polytechnique, je refais un film sur la condition féminine et Incendies, sur la femme au Moyen-Orient. C'est capoté quand même: cela m'inspire encore plus. C'est une bonne chose», croit-il.

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La date de sortie de Polytechnique, un film produit par Remstar, n'a pas été encore fixée.