Effets spéciaux rime souvent avec ordinateur, numérique, technologie abstraite. Le président fondateur de la boîte Lintrigue, Louis Craig, spécialiste en la matière, laisse le virtuel aux autres et se plonge plutôt dans le vif du sujet: la mécanique des effets spéciaux.

Silhouette plutôt impressionnante, poigne franche, tout de noir vêtu, Louis Craig déambule dans les ateliers de L'intrigue, la compagnie qu'il a fondée il y a 25 ans. On se croirait dans n'importe quel atelier de mécanicien. Des mannequins désarticulés, entassés entre deux caisses à outils, rappellent qu'on parlera ici de cinéma.

Louis Craig porte d'ailleurs un t-shirt de Death Race, le film américain de Paul WS Anderson, tourné à Montréal, pour lequel il a construit l'an dernier 36 voitures et dirigé une équipe de 220 techniciens. Son plus grand chantier jusqu'à aujourd'hui.

«C'est un peu un point culminant de ma carrière. J'ai fait plein de gros projets, mais ici, j'avais un budget gigantesque, une équipe monstre et un carnet de commandes complètement débile. Ça a été un défi énorme de passer à travers ça et je pense qu'on a été capables de livrer le tout avec brio», se félicite-t-il celui qui a collaboré tant avec des productions américaines (Catch Me If You Can, Blades of Glory, The Fountain, 300) que québécoises (Le déclin de l'empire américain, Les Boys ou Maman est chez le coiffeur).

Né dans une famille outremontaise, Louis Craig a grandi près d'une mère artiste et d'un père «idéateur, créateur, complètement allumé», qui se retrouve bientôt cadre au jeune Journal de Montréal. Jeune homme, il s'intéresse d'abord à l'image et à la photo avant de tomber dans le monde des effets spéciaux. «Je cherchais quelque chose où je pouvais performer», dit ce grand amateur d'expéditions alpines.

C'est sur des films américains que Louis Craig se fait la main, à la fin des années 70. «J'ai commencé sur des productions américaines qui venaient tourner à Montréal, sur des B Movies», dit-il. En 1979, il participe au tournage de City on Fire et fait, peu après, la rencontre du chimiste américain Gary Zeller (Dawn of the Dead).

«C'est Gary qui m'a initié à toute la chimie des effets spéciaux. On est devenus copains très rapidement, et c'est avec lui que j'ai appris en pyrotechnie. J'ai commencé après à faire des allers-retours à Hollywood pour rencontrer les chefs des départements des effets spéciaux. Je me suis inspiré de tout ce que je voyais dans cette Mecque des effets spéciaux», se souvient-il.

Pourtant, s'il fonde en 1982 L'intrigue à Montréal, ce n'est pas pour les occasions d'affaires qu'on trouve dans ce secteur, mais plus pour la qualité de vie qu'il pense y trouver. «Je me suis décidé à ouvrir à Montréal en même temps que j'ai rencontré ma femme. Ça a cristallisé mes ambitions», dit-il.

«Mes collègues avaient tous des problèmes familiaux. Je me suis dit, je vais essayer d'avoir une petite business, de prendre ce qu'il y a à prendre à Montréal», dit-il. Et aujourd'hui? «Aujourd'hui, la business fonctionne, la famille fonctionne toujours», sourit-il.

Pourtant, la petite entreprise de Louis Craig a connu son lot de difficultés, notamment avec la mort en 1995 du chef machiniste Jean-François Bourassa sur un plateau de tournage. Le visage de Louis Craig se rembrunit à l'évocation du drame.

«C'est un métier à risque, il y a toujours un élément de danger potentiel avec les outils que l'on utilise. Il y a toujours un degré de risque plus élevé que dans les autres métiers de l'industrie du cinéma», croit-il. Les affaires ont-elles souffert de l'accident? «Non, répond-il. Le milieu a été solidaire.»

Aujourd'hui, le défi pour L'intrigue se situe davantage dans l'absence de commandes en provenance des studios américains. «En 33 ans de carrière, je n'ai jamais vu Montréal vide à ce point-là», dit-il. Qu'importe: en attendant Hollywood, Louis Craig travaillera pour un projet du Cirque du Soleil.