Au terme de «huit ans de cauchemar», Oliver Stone a tenté de comprendre comment un homme comme George W. Bush a pu devenir le président des États-Unis d'Amérique. Pour que l'histoire ne se répète pas...

Visiblement, Oliver Stone est déchiré. Il aime profondément l'Amérique, ses valeurs, ses idéaux, ce qu'elle représente dans l'imaginaire collectif planétaire. En même temps, le cinéaste semble profondément désabusé, voire triste de constater à quel point ses compatriotes ne semblent tirer aucune leçon de l'histoire. Il déplore aussi cette tendance à vouloir oublier. Très vite. Trop vite. Aussi s'enflamme-t-il un peu quand on remet en question la pertinence de sortir maintenant un film comme W., alors que le personnage, qui ne sera plus en fonction dans trois mois, n'est déjà plus qu'un mauvais souvenir dans l'esprit de bien des gens.


«À mon sens, ce film devrait être scellé dans un capsule à voyager dans le temps tellement il correspond à un état d'esprit qui nous a menés au désastre, commente Oliver Stone au cours d'une entrevue accordée à La Presse. On oublie aujourd'hui à quel point cette administration a fait preuve d'arrogance entre 2001 et 2003. Maintenant que Bush s'en va, les gens semblent dire: bof! C'est stupide. Il faut impérativement se souvenir de ce qui s'est passé pour en tirer des leçons. L'histoire se répète sans cesse. Nous n'avons rien appris du Vietnam; et notre arrogance nous a entraînés dans ce bourbier qu'est la guerre en Irak. L'opération Surge, avec l'envoi, l'an dernier, de 30 000 soldats supplémentaires, est de la pure folie. C'est comme détruire un village pour le sauver. J'ai vu exactement les mêmes idioties au Vietnam.»
Selon Stone, George W. Bush a profondément changé la face de l'Amérique et du monde. Pour très longtemps. Le fils de George Herbert Walker Bush est arrivé au pouvoir à un moment critique, les attentats du 11 septembre 2001 ayant eu lieu dès le début de son premier mandat. «Bush fils a cristallisé notre soif de vengeance, analyse Stone. Il a agi en tyran, et il a encouragé notre avidité. Les courtiers de Wall Street souriaient pendant que nous bombardions l'Irak. Bush a beau partir en janvier, l'impact qu'il a eu fut si grand que nous devrons gérer les conséquences de ses politiques pendant encore 20 ou 40 ans. Comme il est encore jeune, il restera longtemps dans le décor, tout comme les gens de son entourage. Ils se manifesteront tous dès que les prochains présidents adopteront une approche qui, à leurs yeux, leur paraîtra plus faible.»


Pas un brûlot


Tout le monde connaît déjà les convictions politiques d'Oliver Stone, lesquelles sont à l'opposé de celles de l'actuel président sur le plan idéologique. Le cinéaste prévient toutefois les ennemis de Bush que W. n'est pas un pamphlet incendiaire.


«Avec ce film, j'ai simplement voulu essayer de comprendre ce personnage hors du commun, que nous n'aurions probablement jamais même pu inventer dans une fiction. Je suis convaincu que des cinéastes comme Capra, Kazan, Wilder et bien d'autres se seraient intéressés à un destin aussi singulier s'ils en avaient eu l'occasion à leur époque. Aux chapitres classiques de la vie sombre (sa jeunesse) et de la rédemption (sa conversion à Dieu) s'ajoute un troisième acte complètement inattendu: l'accès à la présidence! À 40 ans, ce gars-là était pourtant un échec ambulant! J'ai donc voulu savoir d'où il venait, comment il en est venu à cristalliser un état d'esprit qui a fait que le pays l'a suivi dans ses velléités guerrières. Il faut discuter de ces choses. Les gens parlent de la guerre comme s'il s'agissait d'un jeu ou d'une chose insignifiante.»


Coincidence, Oliver Stone et George W. Bush ont fréquenté l'Université Yale en même temps dans les années 60. «Nous ne nous sommes toutefois jamais croisés là-bas. En fait, c'est lui-même qui m'a appris ce parcours commun il y a une dizaine d'années. Je crois sincèrement que si Bush avait combattu sur le terrain au Vietnam, sa vision serait tout autre. Il aurait senti les corps brûlés, vu les horreurs. Si tu veux entraîner un pays dans une guerre, tu dois savoir concrètement ce que cela implique. Il y aurait certainement pensé à deux fois.»


Inspiré par de nombreux ouvrages publiés ces dernières années, le scénario de Stanley Weiser tend à tracer un portrait empathique.
«Nous avons laissé la parole aux protagonistes de cette histoire, explique le cinéaste. De cette manière, leurs actions parlent d'elles-mêmes. Je sais que certains commentateurs évoquent en s'étonnant une approche plutôt sympathique, mais je ne suis pas d'accord avec cette lecture. Je dirais qu'il s'agit ici plus ici de compassion, d'empathie. Ce qui est bien différent. Un militant de gauche m'a d'ailleurs dit à la sortie du film qu'il n'aurait jamais pensé éprouver de compassion pour ce président qu'il exècre et pourtant, si. De ce fait, il a dit qu'il éprouvait encore plus de compassion pour son pays aussi. J'ai trouvé cela très beau.»


Cela dit, Stone est loin de voir en Bush une «innocente victime de sa propre ignorance». «Au contraire, dit-il. Je dirais qu'il est naturellement candide; innocent, certainement pas. George W. Bush est coupable de ne pas avoir assez réfléchi. Il est coupable de ne pas avoir eu de curiosité intellectuelle, ne serait-ce que pour essayer de comprendre un tant soit peu le genre humain. Il est aussi coupable, justement, d'un manque d'empathie.»


Trop tôt ou trop tard?


Aucun studio ne voulant toucher de près ou de loin au projet, W. a été financé de façon indépendante et fabriqué très vite. Le tournage s'est en effet déroulé il y a moins de six mois. «Comme j'ai le dernier mot, j'ai mis les bouchées doubles afin que le film soit prêt à temps pour l'élection, une période évidemment propice pour discuter de ces questions», commente le controversé cinéaste.


À ceux qui lui reprochent d'avoir fait ce film «trop tôt» ou «trop tard», Stone répond ceci:
«Mais enfin, qu'est-ce que vous voulez? Beverly Hills Chihuahua? C'est le genre de remarque que j'ai entendue maintes et maintes fois au fil de ma carrière. Tant pour mes films sur le Vietnam que pour JFK, ou Nixon, ou World Trade Center. Franchement, je ne comprends pas. Un film, on le fait quand on peut. C'est tout. On ne peut pas se retourner sur un 10 cents comme on peut le faire dans un journal. Le processus est long. Nous n'aurions pas pu faire ce film plus tôt car les ouvrages significatifs et révélateurs sur la présidence de Bush n'existaient pas encore. N'oubliez pas que cette administration cultivait le secret, particulièrement au cours de son premier mandat. Ce scénario est très bien documenté. À ceux qui pensent que nous aurions dû attendre, que puis-je dire? On ne sera peut-être même plus là dans 10 ou 15 ans!»


Le cinéaste se dit par ailleurs optimiste face au résultat de la prochaine élection, même s'il estime que Barack Obama, s'il est élu, aura fort à faire pour changer la culture militaire dans laquelle l'Amérique est engagée.


«Être américain, c'est faire un pas en avant pour ensuite en faire deux en arrière. C'est comme ça depuis très longtemps. Ce qui m'encourage, en revanche, est de constater que nous avons toujours cette capacité de nous autocritiquer. Cela nous est essentiel.»


W. est présentement à l'affiche en version originale et en version française.