Du Paris des artistes au New York des banquiers, Lucille Fluet, Paul Ahmarani et Sylvie Moreau ont virtuellement beaucoup voyagé pour Un capitalisme sentimental, d'Olivier Asselin. Tourné à Montréal, avec un budget restreint, le film s'attaque avec fantaisie au grand capital, à l'art et à l'amour. Les comédiens racontent.

Paul Ahmarani en crève-la-dalle parisien, Sylvie Moreau en séductrice germano-soviétique ou encore Lucille Fluet en « femme sans qualités», victime d'un vilain pari : pour Un capitalisme sentimental, tous ont accepté d'aller jouer hors de leurs platebandes.

De son personnage, Max, Paul Ahmarani dit que «c'est un escroc, un faux artiste bohème, du Paris et du Montmartre des années 20, un as du système D. Il est presque mythomane, c'est un menteur professionnel, un parasite. C'est un crosseur, qui vivote pour les jupons et le champagne gratuit.»

La dernière fois que l'on avait parlé à Paul Ahmarani, c'était pour son rôle d'homme libanais entre deux âges dans Adam's Wall, de Michael MacKenzie. « Encore une fois, on est en pleine composition, dit-il. Pour un acteur, c'est un vrai plaisir de jouer un personnage comme ça. Il est expansif, vraiment jouissif.»

Max, donc, est la mauvaise rencontre que fait Fernande Bouvier, une « femme sans qualités», qui se rêverait artiste, mais qui n'est guère qu'elle-même. « Elle est naïve et rêve d'être artiste. Elle a de grands idéaux, rencontre Max, un artiste de la bohème, et ensuite, des spéculateurs cyniques», dit Lucille Fluet, qui cosigne le scénario.

Fernande Bouvier arrive à Paris, et s'y brûle les ailes. Max abuse de sa naïveté, tandis que la ténébreuse Maria (Sylvie Moreau) lui apprend deux ou trois choses de la vie. « Maria est vraiment une femme libre, une poétesse, qui vit dans un bordel. Elle est assez amorale. Elle apprend à Fernande à devenir elle-même un être libre, à se libérer des hommes», explique Sylvie Moreau.

« Mon personnage n'est pas flamboyant. J'ai trouvé ça amusant de camper un personnage qui parle peu, qui a une certaine élégance. C'est une séductrice. J'essayais de le jouer comme quelqu'un qui est toujours dans la pénombre, dans la fumée. Je me suis astreinte à ne presque jamais sourire, aussi parce que mes dents sont trop caractéristique», raconte la comédienne.

Un soir où son désespoir est à son comble, Fernande devient l'objet d'un pari cynique de plusieurs spéculateurs, Victor Feldman (Alex Bisping) Charles Wilson (Frank Fontaine) et George Buchanan (Harry Standjovski). « Ils vont la coter en Bourse, parce qu'ils prouvent qu'on peut vendre n'importe quoi», dit Lucille Fluet.

Le prix de l'art

Avec ce film, Olivier Asselin propose «l'extension de la logique économique à l'art et à l'amour. On se retrouve en 1929, une date forte et symbolique de l'échec économique, croit Paul Ahmarani. En amour, comme en économie, l'objet a la valeur que l'on veut bien lui donner. C'est un pari pris par Victor et la raison fictive du krach, c'est la grève de Fernande».

Le film se veut toutefois une fantaisie romantique, une comédie qui ne verse jamais dans le noir côté des choses, mais qui multiplie les clins d'oeil à l'art (l'avant-garde allemande de la République de Weimar, l'avant-garde artistique française incarnée par Marcel Duchamp et son urinoir), à l'expressionnisme allemand et au cinéma (et un célèbre ange bleu).

«Olivier et moi aimons beaucoup Marlene Dietrich. Mais on ne voulait pas d'une héroïne comme elle. On voulait un personnage plus en creux, même si on s'est un peu inspirés de ça pour le maquillage, la coiffure. Cela m'a beaucoup amusée de penser à Jean Harlow, la première blonde platine de Hollywood. C'est une actrice que j'aime beaucoup», dit Lucille Fluet.

De Paris à New York, les personnages poussent tour à tour la chansonnette et entonnent même des pas de danse (la bande originale du film a été composée par Gaëtan Gravel). «C'est un challenge, tout ce qui est chorégraphique. Pas le chant. Le chant ne me faisait pas peur. Mais encore là, c'est un style à transposer. Ce sont des personnages qui sont en train de danser, pas des professionnels et c'est bien», dit Sylvie Moreau.

Paul Ahmarani, qui a enregistré un album en 2005, concède lui aussi avoir beaucoup travaillé pour la danse. «On a eu trois après-midi de travail, mais c'était fort agréable, drôle. Avec ce genre de personnage-là, on se prend à jouer comme, quand t'es petit, à des personnages plus grands que nature. C'est un plaisir ludique et essentiel», croit-il.

Paul Ahmarani a travaillé un accent français - gouailleux, presque (le comédien dit s'être inspiré de la diction de Renaud) -, Sylvie Moreau, un accent allemand et russe. «J'ai eu beaucoup de plaisir à le faire, je m'appliquais pour chaque réplique», dit-elle.

Simplicité à grand déploiement

À l'écran, Un capitalisme sentimental propose une virée dans le passé en Europe et aux États-Unis. Tout a pourtant été tourné à Montréal, avec un budget dépassant à peine le million de dollars. «Ça a été tourné on ne peut plus «low-tech». C'était un des plateaux les plus intimistes que j'ai connus. Ce qui est formidable, en voyant le produit fini, c'est de voir la dimension grandiose que ça prend», dit Sylvie Moreau.

«Il y a certaines scènes faites dans des décors installés les uns à côté des autres. Dans la même journée, on pouvait passer d'une chose à l'autre. On a aussi travaillé sept jours sur écran bleu, sur 20 jours de tournage. Dans ces cas-là, on a un peu moins de repères», estime Lucille Fluet.

Un capitalisme sentimental pourrait séduire un large public, estime Lucille Fluet. «Je ne pense pas que les références culturelles s'imposent. C'est un film très ouvert. Et on est tous soumis au langage financier. Ça peut plaire à tout le monde, car c'est un film baroque, et amusant.»

Un capitalisme sentimental prend l'affiche le 31 octobre.