Le titre de son premier long métrage pourrait prêter flanc à une interprétation ironique, mais Pierre Schoeller préfère parler ici de «contraste».

Même si Versailles évoque dans notre imaginaire collectif tout un pan de l'histoire de France, il n'en reste pas moins qu'une réalité on ne peut plus contemporaine s'est incrustée à l'ombre des châteaux et des jardins: celle de la pauvreté.

«Le titre du film est déjà en décalage, a précisé l'auteur cinéaste au cours d'une entrevue accordée à La Presse. Versailles est un film qui parle de la France d'aujourd'hui, mais le titre évoque aussi tout un imaginaire historique encore lourd de sens. Un peu comme un château qu'on entretiendrait au milieu d'un pays qui, tout autour, s'écroule. Comme s'il fallait préserver l'illusion d'une grandeur passée.»

À partir d'une rencontre fortuite avec un sans-abri dans la forêt de Fontainebleau, Schoeller, qui a écrit plusieurs scénarios depuis 15 ans (dont celui de Quand tu descendras du ciel, une réalisation d'Éric Guirado), a imaginé une histoire dont l'intrigue s'articulerait autour de la réalité difficile dans laquelle vivent ceux qu'on laisse en marge de la société.

On s'attarde ici plus particulièrement aux parcours de trois personnages. Une jeune mère (Judith Chemla) qu'on ballotte de centres d'accueil en refuges pour sans-abri en compagnie de son jeune fils âgé de 5 ans (Max Baissette de Malglaive). Ils rencontrent sur leur route Damien (Guillaume Depardieu), un homme retranché de tout, installé dans une cabane de fortune érigée dans les bois près du château de Versailles.

Quand la jeune femme décide de disparaître après une première nuit passée ensemble, Damien se retrouve seul avec le petit Enzo. D'une certaine façon, ce lien affectif inattendu forcera le jeune homme à renouer avec les codes de la vie sociale.

L'approche du cinéaste est empreinte de réalisme et relève presque du documentaire. Pourtant, Versailles se détourne de l'approche naturaliste attendue en empruntant quelques élans romanesques.

«Ce film n'est pas un conte, prévient Schoeller. En revanche, certaines échappées empruntent la forme du conte parce qu'elles traduisent le langage du petit enfant. Dans une démarche comme celle-là, les allers-retours entre la politique et l'émotion marquent le récit.

J'estimais essentiel que le film parle d'une situation bien actuelle en montrant la dureté, l'âpreté de cette vie et la rudesse des rapports humains. Mais pas seulement. J'ai souhaité aller au-delà des clichés habituels, car la pauvreté a désormais une image multiple. Cela n'est plus seulement une question de violence et d'alcool.»

Une dimension tragique

D'abord présenté à la Quinzaine des réalisateurs, il y a six mois au Festival de Cannes, Versailles a forcément pris une dimension supplémentaire depuis la mort inattendue de Guillaume Depardieu.

D'autant plus que plusieurs affirment qu'il y livre la performance la plus vibrante de sa carrière.
«L'annonce de sa mort fut pour moi un moment très violent, dit Schoeller. J'ai été profondément choqué. Ma peine s'est un petit peu calmée depuis, mais je reste inconsolable.»

Même s'il n'avait pas écrit le personnage de Damien spécifiquement pour Guillaume («Je ne pense jamais aux acteurs à l'étape de l'écriture»), l'auteur cinéaste n'aurait pu trouver acteur plus en phase pour traduire toutes les nuances du personnage. Et toute sa complexité.

«Même s'il trouvait beaucoup de résonances, Guillaume n'a jamais tiré le personnage vers lui, explique Schoeller. Il aimait le personnage. Il était aussi stimulé par l'idée de jouer avec un enfant. Je crois qu'il appréciait aussi la direction dans laquelle s'engageait l'histoire parce que le personnage n'avait pas à changer de nature. Il reste libre jusqu'au bout.»

À la fin de sa vie, le fils de Gérard a vécu des expériences cinématographiques très fortes (avec Jacques Rivette notamment - Ne touchez pas la hache), dont plusieurs avec des cinéastes qui en étaient à leur premier long métrage.

«Je crois que les metteurs en scène ont vu en lui quelque chose de rare, analyse Pierre Schoeller. Une intensité, une beauté masculine incroyable, un truc princier. Dans certains plans de Versailles, il me faisait parfois penser à Alain Delon dans Le guépard! Il était aussi d'une générosité totale dans le jeu. De la même manière que la mort de Patrick Dewaere a laissé un immense vide, il en est tout autant de celle de Guillaume. Parmi les acteurs de sa génération, il était le seul de cette trempe.»

«Il y a évidemment, poursuit-il, des acteurs intenses et très doués - pensons à Clovis Cornillac - mais la plupart d'entre eux y réfléchissent à deux fois avant de prendre des risques. Guillaume, lui, plongeait. L'enjeu artistique primait avant tout. Il était, comme Dewaere avant lui, ce qu'on appelle une nature. Il faisait partie de ces êtres qui ne peuvent pas vivre où ils sont nés. Et qui, constamment, cherchent l'appel de l'ailleurs, de l'inconnu, au gré d'expériences, en testant leurs limites.»
Versailles est présenté aujourd'hui à 13h15 au Cinéma Impérial. Il prend l'affiche en salle le 21 novembre.

Le festival Cinémania se termine demain avec la présentation (à 9h et à 20h30, toujours au Cinéma Impérial) du film La fille de Monaco d'Anne Fontaine, en présence de l'actrice Louise Bourgoin.