Sylvie Moreau me donne rendez-vous chez Bagel etc., boul. Saint-Laurent. L'actrice au registre impressionnant de Catherine aux États humains à la télévision, des Voisins à Kiss Bill au théâtre, de Post Mortem à Camping sauvage au cinéma est en ce moment à l'affiche du film Un capitalisme sentimental et en tournage d'À vos marques... Party! 2. Discussion sur la critique.

Marc Cassivi: À vos marques... Party! a été un film particulièrement massacré par la critique. Comme tu tournes en ce moment la suite, je me suis dit qu'on pourrait parler de la critique.

Sylvie Moreau: C'était un film fait sur mesure pour être massacré par la critique. Un film populaire, pour ados. Il était condamné d'une certaine façon.

M.C.: Quand on participe à un film et que la critique est virulente, on s'en fout ou on trouve que la critique est de mauvaise foi?

S.M.: On s'en fout. La critique, on ne s'en fout pas quand on se sent personnellement attaqué. Mais quand la critique vise l'objet, c'est autre chose. Quand je sais pourquoi j'ai accepté un rôle, quand je suis fière de l'avoir fait, quand j'aime ce que je vois, je n'ai pas de problème avec la critique.

M.C.: Quand tu es plus détachée d'une oeuvre, la critique t'affecte moins?

S.M.: Je ne fais pas mon métier pour que les gens aiment ce que je fais. Je le fais par désir de communiquer et d'échanger. Alors la critique m'affecte relativement peu. Une des choses que j'ai le plus aimé faire est celle qui a été la plus détruite par la critique: la pièce Antoine et Cléopâtre (de Shakespeare), mise en scène par Lewis Furey. C'était une démarche de création, un objet absolument extraordinaire dans lequel je me suis beaucoup épanouie. Ç'a été un test intéressant de vivre à ce point-là l'échec dans le regard de l'autre. C'était assez poignant, mais je me suis surprise à aimer chaque représentation sans que la critique n'affecte mon bonheur. J'ai aimé être testée durement pour pouvoir dire sincèrement que je ne fais pas mon métier pour être aimée.

M.C.: Au théâtre, la critique est publiée alors qu'il reste encore bien des représentations...

S.M.: Pendant Antoine et Cléopâtre, bien des gens sortaient avant la fin. Il faut aimer ça pour vrai pour continuer, sinon on trouve le temps long.

M.C.: Ton rapport à la critique a-t-il changé au fil des ans? Réagissais-tu autrement plus jeune?

S.M.: Non. Je l'ai toujours abordée comme ça. Même quand elle était dithyrambique, je me méfiais. C'est un point de vue, un buzz. Il y a ça aussi chez les critiques. J'ai remarqué que pour eux il y a souvent des intouchables, des chouchous, comme il y a des têtes de Turc. C'est lié au fait que tout va vite et que la critique n'a souvent qu'un seul point de vue sur les choses. Les critiques étudient peu finalement la matière critiquée.

M.C.: Les critiques doivent vivre avec leur jugement. La réponse n'est peut-être pas aussi directe que pour l'artiste, mais le critique met aussi sa crédibilité en jeu chaque fois qu'il se prononce.

S.M.: Il faut que la critique accepte de ne pas le prendre personnel. Exactement comme les artistes.

M.C.: Tu trouves que le travail de critique est fait trop peu sérieusement?

S.M.: Je reproche à la critique de ne pas avoir d'expérience pratique. Elle a l'expérience du regard. Le regard est une chose, la pratique en est une autre. Le critique doit pour moi d'abord être amoureux de l'art qu'il commente... exactement comme une ministre de la Culture devrait l'être! Le critique devrait être le premier défenseur de son art, pour avoir le droit de le critiquer durement. Souvent, je trouve qu'il y a une facilité du commentaire qui ne correspond pas à une réelle implication du critique vis-à-vis de l'objet critiqué.

M.C.: Certains critiques te répondraient que c'est justement leur amour d'un art qui fait en sorte qu'ils acceptent difficilement la médiocrité.

S.M.: Pourquoi on ne le sent pas? C'est bizarre que ça se communique aussi peu. C'est peut-être lié aux limites de la critique, à la taille d'un article par exemple.

M.C.: Les bons critiques arrivent à mon sens à trouver un équilibre entre le réel désir de communiquer une passion pour un art et le jugement plus dur, qui peut aller jusqu'à la mauvaise foi par refus d'accepter la facilité. J'ai l'impression que les critiques les plus durs sont souvent les plus passionnés. Ce que je reproche à la critique, de manière générale, c'est davantage sa tiédeur qu'autre chose.

S.M.: Quand les critiques voient un objet pour lequel ils n'ont pas de références, ils n'oseront pas se commettre à trouver ça bon. Ils vont plutôt se commettre à trouver ça raté. Exactement comme un spectateur qui a payé 80 $ pour son billet et qui n'osera pas dire qu'il n'a pas aimé ça.

M.C.: Je trouve au contraire que c'est plus facile pour un critique de dire que «c'est bon» plutôt que «c'est raté». Surtout en sachant que les spectateurs qui ont payé 80 $ vont lui reprocher de dire que c'est raté.

S.M.: Un critique n'est pas un éditorialiste. Son point de vue personnel de spectateur compte, mais il ne s'agit pas que de ça. Très souvent ce qu'on lit, c'est de l'humeur. C'est là que ça dérape.

M.C.: C'est vrai, comme tu le dis, qu'il y a des intouchables pour la critique. Mais les intouchables ne sont pas ceux qu'on pense. Le 30, un magazine de journalisme, a fait un dossier sur les vaches sacrées de la culture en parlant surtout de Céline Dion. Céline Dion n'est pas du tout une intouchable. Un intouchable, c'est Marc Labrèche, c'est Pierre Lapointe. Personne ne dit de mal de Pierre Lapointe. Tout le monde l'a aimé en même temps.

S.M.: Pierre Lapointe, Denis Marleau au théâtre, Brigitte Haentjens...

M.C.: C'est intéressant pour un artiste d'atteindre ce statut-là, j'imagine. Quoique la chute doit être plus douloureuse. Tu as été bien traitée par la critique?

S.M.: Oui, en général. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que j'assume les choix que je fais. Et que ça se sent.

M.C.: Les critiques ne t'ont pas reproché d'être dans À vos marques... Party?

S.M.: (Rires) Non. Ils ne se mêlent pas de mes choix. Ça me fait penser à une dame, dans la rue, qui m'a dit: «J'adore ce que vous faites, je vous trouve extraordinaire, mais quand je vous ai vue à La fureur, je n'étais pas d'accord!» Je lui ai répondu: «Excusez-moi de ne pas vous avoir consultée, madame!» Désolée de ne pas mener la carrière que vous voudriez que je mène, mais j'aime aller à La fureur. J'ai même des amis artistes qui m'ont dit: «Franchement, pourquoi tu fais ça?» Parce que ça me tente! J'aime jouer. J'aime le ludique. Je joue au curling! La madame n'était pas d'accord...

M.C.: Ton public te donne souvent des conseils comme ça?

S.M.: J'ai reçu un e-mail un jour à propos de mes dents. On m'en parle souvent. La madame me disait: «C'est bon ce que vous faites, mais si vous vous faisiez arranger les dents, vous pourriez avoir une bien plus grande carrière. Vous pourriez même avoir une carrière américaine!» (Rires) Elle est chez elle et elle se dit: «Personne n'a osé lui dire. Je vais lui dire moi!» J'en ris chaque fois tellement c'est absurde...