Revenant à une forme narrative plus classique, le cinéaste Gus Van Sant propose un film biographique relatant les huit dernières années de Harvey Milk, le premier politicien ouvertement gai de l'histoire des États-Unis.


La scène est tellement choquante que Gus Van Sant n'a même pas voulu la recréer de façon «artificielle» dans Milk, un drame biographique qui relate le parcours de Harvey Milk, icône du militantisme gai des années 70. Le réalisateur de Paranoid Park a plutôt choisi d'intégrer dans le récit de son nouveau film la vraie séquence, celle qu'ont vue les Américains dans les bulletins télévisés du 27 novembre 1978. Ce jour-là, la présidente du conseil des superviseurs de San Francisco, Dianne Feinstein (aujourd'hui sénatrice), s'est avancée devant une meute de reporters sur le parvis de l'hôtel de ville. La voix tremblante, elle a annoncé que le maire George Moscone et le superviseur Harvey Milk avaient été abattus. «Le suspect est le superviseur Dan White», a-t-elle ajouté.


«Je me souviens très bien de l'émotion que nous avons ressentie ce jour-là, rappelle Gus Van Sant, âgé de 26 ans à cette époque. Comme je ne vivais pas à San Francisco, je n'ai toutefois appris la portée des actions de Milk qu'après sa disparition. Aujourd'hui, Harvey Milk a un statut d'icône pour les gais de ma génération mais son nom reste relativement inconnu des plus jeunes. Voilà pourquoi il me semblait important de célébrer son existence par ce film.»


Il aura toutefois fallu beaucoup de temps avant que tous les éléments ne se mettent en place. L'adaptation cinématographique de la vie de Harvey Milk fait en effet partie de ces projets dont on a parlé pendant des années à Hollywood sans qu'ils puissent se matérialiser. Oliver Stone a même déjà été lié à ce projet. Bryan Singer aussi. Des noms d'acteurs ont circulé. Tom Cruise a notamment été pressenti pour camper l'assassin. C'est finalement un tout jeune scénariste, Dustin Lance Black (Big Love), qui a accouché d'un script assez consensuel pour permettre au film d'obtenir enfin le feu vert. Sean Penn - «Le plus macho des acteurs hollywoodiens!» dit Van Sant en riant - prête ses traits à Harvey Milk; James Franco interprète son amant Scott Smith; Josh Brolin est Dan White.
Ce dernier, qui vient tout juste de se glisser dans la peau de George W. Bush (sous la direction d'Oliver Stone), estime que Milk est un film important, d'autant plus qu'il a été réalisé par des artisans qui se sont investis à fond. «C'est plus une question de sensibilité, indique l'acteur. Il est certain qu'un film comme celui-là revêt une importance particulière dans le parcours d'un réalisateur gai, mais Gus est avant tout doté d'un talent de cinéaste hors du commun. C'est ce qui rend le film unique.»


Politique et action sociale


De facture beaucoup plus classique que les films qu'a proposés Van Sant au cours des plus récentes années (Gerry, Elephant, Last Days, Paranoid Park), Milk s'attarde aux huit dernières années de la vie de Harvey Milk. De son 40e anniversaire de naissance en 1970, marqué par sa rencontre avec Scott Smith à New York, jusqu'à son assassinat. Pendant cette période, Milk part s'installer avec Smith à San Francisco afin d'exploiter un petit commerce dans Castro Street. Sous leur direction, cette rue deviendra vite le centre d'un quartier où convergent des gais venus de partout. Son militantisme dans la défense des droits des gais, et aussi différentes causes sociales, le pousse à se lancer en politique.


«Ces années-là étaient tellement riches pour lui, tant sur le plan personnel que politique, qu'il était difficile d'y faire écho sans trop s'égarer, explique Van Sant. Fort heureusement, Lance a su évoquer tous ces aspects de façon claire et précise dans son scénario, en se concentrant sur la politique et l'action sociale.»
Aussi, le cinéaste rend hommage au talent de ses acteurs, notamment à Sean Penn, malheureusement absent de cette rencontre de presse.


«Il n'y a pas un cinéaste au monde qui n'aurait pas envie de travailler avec Sean, observe-t-il. Je crois que ce rôle constituait un défi pour lui et il s'y est investi à fond. Étonnamment, tout s'est déroulé de façon très simple. Je dis «étonnamment» car, étant donné le caractère très engagé de Sean, je m'attendais à ce que nous ayons de longues discussions de nature politique. Or, il a appris ses répliques le plus naturellement du monde. Il m'expliquait ce qu'il comptait faire devant la caméra et j'avais le loisir d'accepter sa proposition ou pas.»
Précisons que l'acteur, aussi cinéaste, travaillait sous la direction de Van Sant pour la première fois.


«C'était fascinant de le regarder, ajoute Van Sant. Comme, de surcroît, Sean devait faire des discours en public pour les besoins du rôle et que ça ne lui est ni facile ni naturel, il devait trouver en lui une espèce de colère pour se donner une contenance. Fort heureusement, il ne l'a jamais dirigée vers moi. Ni vers personne d'autre d'ailleurs. Je crois que Harvey aurait été fier de lui.»


Milk prend l'affiche le 5 décembre en version originale, en version originale avec sous-titres français, et en version doublée en français. Les frais de voyage ont été payés par Alliance Vivafilm (Focus Features).