Oubliez le décorum. Jacques Leduc, cinéaste protéiforme, ne se formalise pas avec le prix Albert-Tessier, que vient de lui remettre le gouvernement du Québec pour l'ensemble de son oeuvre. Généreux, il pense plutôt à ses proches: «Mes amis sont très contents», assure-t-il. Autour d'un smoked meat sur l'avenue du Mont-Royal, le réalisateur d'On est loin du soleil, de Tendresse ordinaire et de La vie fantôme se raconte.

Après plus d'une heure d'entrevue, il s'étonne de s'être épanché. On en sera quittes pour une autre surprise, la nôtre, quand Jacques Leduc sort de son sac à dos un appareil photo (avec pellicule, s'il vous plaît) pour ajouter un cliché à ce qu'il nomme sa «façon paresseuse de tenir un journal» depuis plusieurs dizaines d'années.

«Ce n'est pas ma nature d'être nostalgique», prévient-il. Certes. Le réalisateur admet toutefois une inclinaison à la nostalgie, surtout depuis qu'il enfile les entrevues pour le prix Albert-Tessier, et en regardant ses photos. Revoir ses compagnons de l'ONF aujourd'hui disparus lui inspire ce commentaire: «Moi, la mort, je m'en câlisse. C'est la mort des autres qui est épouvantable, pas la sienne.»

Jacques Leduc a toutefois son chasse spleen: «Je vais aller jouer au ping-pong, ça ira mieux», dit-il. Très jeune homme, il évoque les parties de ping-pong, donc, mais aussi les amis, la musique: bref, un certain art de vivre. Il ne tourne plus - pour le moment - mais ne s'en fait pas: «Je dis pas que ça me plaît pas de lire des romans le matin, et de me coucher tard le soir», rit-il.

Cinéaste de premier plan, Jacques Leduc a côtoyé les plus grands réalisateurs québécois au cours de sa carrière, entamée dans les années 60 à l'ONF. «C'était l'invention du langage cinématographique. Tu ne pouvais pas trouver une meilleure place, sauf, peut-être, à Hollywood. Et encore!» se souvient-il.
Il réalise On est loin du soleil, mais aussi Alegria, Chronique de la vie quotidienne, Le temps des cigales, L'enfant sur le lac et La vie fantôme. Il voue au Dernier glacier une affection toute particulière: «C'est la Côte-Nord, la Gaspésie. C'est pour nous ce que le Far West est aux Américains», dit-il.

Certains de ses films sont des classiques. Ne comptez pas sur lui pour s'en émouvoir: «Il n'y a pas de plaisir singulier à revoir son travail. Moi, je ne revois pas mes films», dit-il. Quant à la paternité de son oeuvre, Jacques Leduc opte pour le profil bas. «C'est un truc d'équipe: la responsabilité est extrêmement partagée», raconte-t-il.

Lui-même a prêté main-forte à la caméra pour Fernand Dansereau, Denys Arcand, Jean-Pierre Lefebvre, Tahani Rached, Sylvie Groulx, Sylvain L'Espérance, Serge Giguère ou Jeanne Crépeau, y compris après son départ de l'ONF, en 1990. Ses collaborations ont ralenti ces derniers temps. Rien d'étonnant, d'après lui: «Il y a des jeunes qui sont pas pires, merci.»

Jacques Leduc n'en finit pas moins d'observer les changements techniques à l'oeuvre dans le septième art: «Ça me sidère, cette vitesse de changement», dit-il. Plus tard, il observe: «Le milieu du cinéma a changé, la cinématographie aussi a changé. Je peux-tu te dire que j'en ai jusque-là des gros plans? Il y a des films qui ne sont que de la télé, en un peu mieux.»

Au fil de la conversation, on peut saisir certains étonnements qui nourrissent toujours le réalisateur: l'absence de débat politique au Québec («Des débats? Où, des débats?» demande-t-il) ou encore l'actuelle crise économique et le refinancement, à même les deniers publics, des banques («le vol est légal», croit-il).

S'il fallait chercher un message dans l'oeuvre du réalisateur, il ne saurait être autre que sa propre voix. «Dans le fond, je suis un vieux socialiste, dit-il, même si je suis vénal, et que comme tout le monde, je regarde mes comptes en banque. Alors, quand je tourne, je peux pas faire autrement que de penser comme je pense. Y en a pas de message, mais on parle avec la voix qu'on a.»

Jacques Leduc n'exclut pas de revenir derrière la caméra. «Y a-tu quelque chose de définitif dans la vie, à part le dernier souffle? Je dis souvent que si je lisais un bon scénario, je l'accepterais. Pour le plaisir», sourit-il.

La Cinémathèque québécoise présente un hommage à Jacques Leduc, jusqu'au 17 décembre. Plus de renseignements: www.cinematheque.qc.ca