Comment la génération d'Allemands d'après guerre a-t-elle psychologiquement composé avec les atrocités commises par ses aînés ? Tel est le sujet de The Reader, l'adaptation cinématographique du roman à succès de Bernhard Schlink, dont le personnage central a bouleversé Kate Winslet. Et la bouleverse encore.

La culpabilité allemande. Celle qu'ont ressentie ceux qui font partie de la génération de l'auteur Bernhard Schlink, née après la guerre, quand ils ont appris que des gens qu'ils aimaient avaient pu, 15 ou 20 ans plus tôt, commettre des gestes inexcusables. Ce thème, Schlink l'a traité dans un roman semi-autobiographique, par le truchement d'une liaison sentimentale qu'entretient une femme issue de la génération inculpée avec un tout jeune homme, encore adolescent.

Déjà élevé au rang de lecture obligatoire en Allemagne, The Reader (Le liseur), que Schlink a publié en 1995, est devenu un roman à succès en Amérique le jour où Oprah Winfrey a inscrit ce titre dans son club de lecture. Un projet d'adaptation au cinéma figure au programme depuis longtemps. Après une dizaine d'années pendant lesquelles Anthony Minghella a pensé en assumer la réalisation, Stephen Daldry a finalement repris le projet en main. Minghella et son partenaire, Sydney Pollack, se sont plutôt chargés de le produire au sein de la société qu'ils dirigeaient. Le destin aura fait de The Reader leur dernier projet, les deux hommes étant morts plus tôt cette année.

Pour le scénario, Daldry a par ailleurs fait appel au dramaturge David Hare, celui-là même qui avait écrit l'adaptation de The Hours, le film précédent de Daldry. On ne change pas une équipe gagnante.

«Il y a dans cette histoire des thèmes complexes qui s'adressent à un public adulte, fait remarquer le scénariste. En ce sens, on est ici loin de l'approche hollywoodienne. De toute façon, la vieille manière de raconter des histoires est venue à bout des spectateurs du XXe siècle!»

Une histoire allemande


Tourné principalement en Allemagne avec des artisans allemands, The Reader a visiblement bouleversé Kate Winslet, l'interprète de Hanna Schmitz, personnage dont on suit le parcours pendant toute une vie. «Il fallait que je trouve un moyen qui me permette de la comprendre, expliquait récemment l'actrice au cours d'une rencontre de presse tenue à New York. D'une certaine manière, il fallait que je l'aime, que j'en fasse une vraie personne.»

Hanna Schmitz est cette femme qui, après avoir aidé un jeune homme alors qu'il ressentait un malaise en pleine rue, s'engage dans une courte liaison sentimentale avec lui. Cette histoire d'amour, très intense et très charnelle, laissera des traces de part et d'autre. Ce n'est que huit ans plus tard qu'ils se reverront. Lui, étudiant en droit qui assiste en observateur aux procès des nazis; elle, sur le banc de ceux et celles qu'on accuse de crimes de guerre...

«Cette femme s'était fermée à toute émotion jusqu'à l'arrivée de Michael dans sa vie, observe Kate Winslet. C'est ce qui explique, je crois, pourquoi ces deux êtres ont partagé une aussi grande complicité sur le plan sexuel. Cet éveil ne pouvait passer que par là. Ils en étaient au même niveau!»

La représentation de la sexualité étant abordée de façon très franche dans le film, l'aspect «controversé» de cette liaison suscite bien des commentaires. Les producteurs ont d'ailleurs dû attendre que David Kross, l'interprète de Michael Berg adolescent (Ralph Fiennes interprète Berg à l'âge adulte), atteigne ses 18 ans avant de tourner les scènes d'amour avec Kate Winslet, histoire de respecter les lois allemandes.

«Cela me fait sourire, dit l'actrice. On ne parle quand même pas ici d'un petit gars de 12 ans! J'étais encore plus jeune que David quand je suis partie seule pour la Nouvelle-Zélande afin d'aller tourner Heavenly Creatures avec Peter Jackson! Cela dit, il est vrai que c'est stressant pour un jeune acteur de tourner sa première scène d'amour. Je me souviens très bien comment je me suis sentie à l'époque. C'est pourquoi je tenais à ce qu'on explique à David ce que nous allions faire de façon très précise. Il a aussi été très soulagé quand il a appris qu'il y aurait seulement trois personnes sur le plateau au moment où nous allions tourner ces scènes-là. C'est un jeune acteur remarquable, très vibrant, doté d'une très belle sensibilité.»

Vulnérabilité émotionnelle

Selon Stephen Daldry, Kate Winslet est une actrice d'exception qui dispose d'un registre infini, auquel elle peut pratiquement avoir accès sur demande. Quand, au cours de cette rencontre de presse à laquelle assistaient une dizaine de journalistes, est venu le moment d'évoquer la vulnérabilité émotionnelle à laquelle une comédienne s'expose, elle a fondu en larmes.

«C'est beaucoup plus difficile que les scènes de nudité physique, croyez-moi», a expliqué l'actrice en reprenant contenance. Cette dernière a ainsi raconté comment, en tournant à Berlin la scène de procès devant tous ces acteurs allemands - dont certains ont été impliqués dans les vrais procès de nazis - elle s'était sentie mourir un peu. «Je n'avais rien de commun avec la femme que j'interprétais, rien en moi que j'aurais pu utiliser pour la nourrir. Et elle avait des répliques terribles à livrer. En même temps, je lui devais ma compréhension, il fallait que je la défende.»

Kate Winslet a pris une pause, s'est levée quelques secondes en évoquant un urgent besoin de fumer, s'est rassise et s'est roulé une cigarette avec une expertise étonnante.

«Je ne sais pas ce qui m'arrive, a-t-elle dit en s'excusant. En vous parlant, tout est revenu dans mon esprit de façon tellement concrète et subite que j'ai ressenti cette émotion comme si on venait tout juste de tourner la scène. C'est la première fois que ce genre de truc m'arrive.»

The Reader (Le liseur en version française) prend l'affiche le 25 décembre. Les frais de voyage ont été payés par Alliance Vivafilm (The Weinstein Company).