Un soir d'Halloween, Suzie, chauffeuse de taxi silencieuse et solitaire, trouve un petit garçon assis sur la banquette arrière de sa voiture, une adresse et un billet de 50 $ épinglés à sa veste.

Cette rencontre avec Charles, un enfant manifestement pas comme les autres, réveillera en elle une souffrance profonde et très ancienne. Micheline Lanctôt nous parle de son tout dernier film, un drame urbain et nocturne qu'elle a écrit, réalisé, coproduit, et dans lequel elle interprète le rôle-titre.

Q: À quel point le personnage de Suzie vous ressemble-t-il?

R: Il me ressemble quand je me laisse aller à mon spleen le plus profond. Je suis un peu comme Suzie, je n'ai pas beaucoup de contact avec le monde parce que j'en ai tout plein lorsque je travaille. Mais c'est un personnage à part entière dans la mesure où ce qui lui arrive n'arrive qu'à elle. Par contre, ce qui arrive aux parents [interprétés par Pascale Bussières et Normand Daneau] arrive à tous les parents. Ces moments, juste avant le désespoir, où on ne se sent plus capable, c'est quelque chose que tous les parents ont vécu, que je connais bien, mais dont personne ne parle. J'ai choisi d'en parler parce que je trouve qu'il y a une forme d'exorcisme là-dedans. On n'ose pas dire : «J'en veux plus de mes enfants, je suis à bout.» Alors que c'est lorsqu'on est capable de se l'avouer qu'on se garde une porte de sortie.

 

Q: Où peut se trouver selon vous la solution?

R: Il faut piler sur son orgueil et se permettre de demander de l'aide. Les gens sont trop isolés. Ils n'ont plus de réseau, ils n'ont pas de recours. Élever des enfants, ça ne se fait pas tout seul. On a besoin de la tribu alentour, du soutien de la communauté. Les gens vivent dans une espèce d'hébétude. Il y a un chacun pour soi. On a de la difficulté à venir en aide à quelqu'un spontanément, moi la première. Quand on est parent, la seule chose dont on a besoin parfois, c'est une petite main secourable, quelqu'un qui surveille votre enfant pendant deux secondes.

Q: Pourquoi avez-vous choisi de situer l'histoire une nuit d'Halloween?

R: Parce que l'Halloween, sur le plan symbolique, est restée une nuit très menaçante, surtout chez les Anglais. Dans la région des Cantons-de-l'Est, là où je vis, il y a encore du vandalisme la nuit de l'Halloween. Pour moi, il y a quelque chose d'agressant et d'hostile dans cette fête. C'est évidemment la nuit des masques. Sur le plan métaphorique, ça me permettait de rendre la vision que Charles [Gabriel Gaudreault] et Suzie, les deux personnages principaux, ont du monde. Un monde hostile, où on n'est pas bien, peuplé de personnages hirsutes qui arrivent on ne sait d'où. Il y a tout ce côté macabre que je voulais mettre en filigrane dans l'histoire.

Q: Le film sort en pleine période de Pâques, assez curieusement...

R: Il devait sortir avant. On a tourné en octobre 2007. Ça fait presque 10 mois qu'on attend. À cause de la faillite présumée de Christal Films, le film a été coincé dans des procédures judiciaires. Ça m'angoissait beaucoup. J'avais peur qu'on ne le sorte jamais. Ça m'est déjà arrivé avec un dessin animé. On était une vingtaine de personnes là-dessus. On avait mis deux ans de travail. Le distributeur a fait faillite. Le film n'a jamais été projeté. C'est rough!

Q: Tourner presque exclusivement la nuit pose-t-il un défi particulier?

R: Les deux difficultés qu'on a eues, ce sont le manque d'argent et le manque de temps. On a tourné en numérique parce qu'on savait qu'on ne pouvait pas traîner d'éclairage. On a pris la gageure du low light. C'était entendu que ce serait un film de nuit.

Q: Et l'argent?

R: J'avais un million pour faire le film, point. Il fallait que je me débrouille pour le compléter dans le temps requis. Le scénario avait été écrit en conséquence. On a éliminé toutes les scènes qui pouvaient l'être. Pour moi, c'est un exercice un peu fatigant, mais extrêmement créatif. Ça permet de garder l'essentiel.

Q: Cette contrainte peut devenir très productive...

R: Les gens qui ont beaucoup d'argent ont, en général, beaucoup plus de problèmes que moi. Nous autres, on pouvait se revirer de bord très rapidement. La machine est beaucoup moins lourde. C'est une des raisons pour lesquelles je ne me plains absolument pas de travailler à petit budget. Une machine légère et souple, pour moi, c'est beaucoup plus agréable. Et le plaisir de faire du cinéma est le même.