La petite Jérusalem avait révélé une cinéaste dotée d'une vision très fine. Avec Le chant des mariées, Karin Albou poursuit son exploration de la féminité à travers l'histoire d'amitié de deux adolescentes, l'une juive, l'autre musulmane.

Le succès d'estime de La petite Jérusalem a permis à la réalisatrice Karin Albou de remettre enfin sur les rails un projet qu'elle avait dû abandonner il y a une dizaine d'années.

«Dans l'ordre des choses, j'aurais normalement dû tourner Le chant des mariées bien avant La petite Jérusalem, a expliqué la cinéaste au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse plus tôt cette semaine. Le casting était établi et les dates de tournage fixées. Mais nous avons dû abandonner le projet à la dernière minute, faute de budget. Le succès de mon premier film a permis la reprise de ce projet.»

Ceux qui ont vu La petite Jérusalem lui trouveront des affinités avec Le chant des mariées. Karin Albou creuse en effet dans son cinéma le sillon de l'intimité féminine, cette fois à travers l'histoire d'une amitié entre deux adolescentes de religions différentes, mise à mal par les tourments de l'histoire.

Le récit a pour cadre une période très précise de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, soit les six mois de l'occupation allemande de la Tunisie.

«Au départ, précise la réalisatrice, il m'importait surtout de m'attarder à la nature fusionnelle de cette amitié. Ce n'est que plus tard qu'est venue l'idée de camper l'histoire dans un contexte historique pratiquement inconnu. La littérature et le cinéma se sont rarement intéressés à décrire comment cette partie de l'histoire a été vécue en Afrique du Nord, dans les colonies et les protectorats.»

Originaire d'Algérie, l'auteure cinéaste ne compte personne dans sa famille qui ait vécu l'histoire de la même façon que ses héroïnes. En revanche, elle partage avec elles une mémoire historique, voire sensorielle.

«Je trouve particulièrement intéressant le fait que nous, les générations subséquentes, ne connaissons absolument rien des événements de cette époque. Il n'y a pas eu de transmission d'une génération à l'autre. Il est vrai que la période d'occupation allemande fut très courte.

Quand j'ai fait mes recherches, j'ai posé des questions à ma grand-mère et ce n'est qu'à ce moment-là que j'ai appris que les Juifs d'Algérie avaient été déchus de leur nationalité française pendant la guerre.»

Un rapport au corps et à l'intimité
Si le contexte historique est important, l'amitié que partagent les deux héroïnes demeure au coeur du récit. Et à travers elle, une exploration de la féminité, notamment par rapport au corps et à l'intimité, dans une société régie par des traditions séculaires.

Même si la guerre les sépare, ces deux adolescentes se rejoignent dans la douleur de leur condition de femme.

«Je n'aime pas utiliser l'expression «film de femme», que je trouve réductrice, mais il est clair que je pose sur cette histoire un regard différent de celui qu'aurait posé un cinéaste, fait remarquer Karin Albou.

Tant dans la littérature qu'au cinéma, les hommes ont beaucoup écrit sur les femmes. Ils ont ainsi pu exposer leur vision de la féminité. Or, cette vision est forcément différente quand elle provient d'un regard féminin.

Et comme les créatrices ont accès à l'expression depuis relativement peu de temps, il reste encore plusieurs aspects à révéler.»

Un exemple: une scène, très forte, pendant laquelle on montre l'une des deux jeunes femmes se faire épiler «à l'orientale» les poils pubiens à la veille de son mariage, rituel obligé pour se conformer aux normes établies.

«Évidemment, un réalisateur aurait tout aussi bien pu tourner cette scène, mais il n'aurait probablement pas eu l'idée de la filmer! lance Karin Albou. Tout simplement parce qu'il ne sait pas en quoi elle consiste. C'est dans cette exploration de l'intimité que réside, je crois, la spécificité du regard féminin.»

Le chant des mariées est présentement à l'affiche.