Après Nue propriété, le cinéaste belge Joachim Lafosse revient avec Élève libre sur la manipulation et la perversion. Présenté à Cannes l'an dernier, Élève libre réussit à provoquer et à déranger sans presque rien montrer. «Mon film dérange plus que de la pornographie : ce qui dérange, c'est de réfléchir, mais pas de jouir», dit le réalisateur.

Élève libre s'ouvre sur des cris ambigus, de douleur ou de plaisir. Raquette à la main, regard concentré, Jonas, 15 ans (Jonas Bloquet) renvoie les balles. «Ce que je voulais montrer, avec ce premier plan, c'est la concentration d'un sportif, de quelqu'un qui gère sa libido», explique Joachim Lafosse.

Fraîchement expulsé de l'école, repoussé des courts de tennis, Jonas devient un élève libre pour les examens nationaux. «Peut-on être un élève et libre?» interroge le réalisateur. «J'aime cette opposition entre ces deux mots. Cela dit quelque chose sur une opposition à laquelle le spectateur devra faire face.»

L'élève se trouve un maître, Pierre, un adulte libertin qui se propose de l'aider dans ses études. Avec un couple d'amis, Pierre va abreuver Jonas de son savoir sur sa sexualité naissante et hésitante. Après la manipulation, la perversion. «L'adolescent se cherche: le vrai problème, ce sont ces trois adultes qui sont de grands enfants et le traitent comme un objet de leur jouissance.»
Dans Élève libre, on parle beaucoup de sexe et l'on passe aussi à l'acte. «C'était important de montrer que le langage de la perversion commence par la langue, mais pas le viol», dit Lafosse. La caméra ne montrera aucun acte sexuel. «Il y a une éthique et une morale, qui est celle du hors-champ», plaide-t-il.

Sur l'intrusion des adultes dans la vie et la chair de l'adolescent, Joachim Lafosse ne prend pas position. «Que je vous dise ce que je pense ou non, on s'en fout. Ce qui compte, c'est ce que je décris. Je ne cherche pas à faire des films qui disent au spectateur ce qu'il doit penser.»
La perversion s'immisce de façon pernicieuse dans le film, instaurant un malaise psychologique. «Ce qui était très important, c'est de ne pas dévoiler tout de suite cela. On a ici une référence au serpent dans Le livre de la jungle: je voulais que la caméra tourne autour de Jonas comme le serpent autour de Mowgli, qu'elle soit très souple.»

En quelques années et quatre longs-métrages (Folie privée, Ça rend heureux, Nue propriété et Élève libre), Joachim Lafosse s'impose parmi les réalisateurs à suivre en Belgique. Élève libre est sans doute son film qui a suscité le plus de remous, notamment pour son apparente neutralité.

«La différence entre le cinéaste et le pervers, c'est que le cinéaste ne cache pas sa perversion», note Joachim Lafosse. «Mon boulot est de faire réfléchir: je ne suis pas éducateur, mais c'est une question très complexe que je montre. Je montre aussi que le pervers est quelqu'un qui souffre, qui manipule.»