Plus de 40 ans après sa triste disparition, le compositeur et musicien québécois André Mathieu s'apprête à revivre sur grand écran sous les auspices de Luc Dionne, lui-même porté par la dévotion du pianiste Alain Lefèvre.

Sur la scène du Théâtre national de Sofia, un petit garçon se lève et contourne un piano bien trop grand pour lui. Il trouve son chemin entre les musiciens de l'orchestre, s'avance et salue la foule. Il regarde vers la première loge à sa droite et envoie un baiser au vieux monsieur qui vient de le saluer, un dénommé Rachmaninov. Guillaume Lebon, qui interprète André Mathieu à l'époque où ce dernier était l'enfant prodige du monde musical, recommence patiemment la scène quelques fois, sous la bienveillante attention de Luc Dionne.

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Puis arrive un autre garçon, habillé de façon identique. La présence de Matthew Iamonico, un jeune pianiste montréalais, est maintenant requise pour les séquences musicales, filmées en plans plus rapprochés.

Ayant à discuter avec les sonorisateurs bulgares, Luc Dionne demande à Matthew de jouer seul au piano, sans l'appui de l'orchestre ni celle des pistes enregistrées par Alain Lefèvre. Le réalisateur quitte ensuite la scène pour aller retrouver les techniciens, postés dans la dernière rangée du balcon. Plusieurs minutes s'écoulent. Le petit Matthew joue le Concertino no. 2. C'est très beau. Il ne s'arrête pas. Il ne s'arrête plus. La musique est tellement présente dans l'élaboration d'André Mathieu, le dernier des romantiques que les artisans semblent trouver normal de toujours la retrouver en fond sonore.

Puis, l'auteur cinéaste, se rappelant probablement que les notes qu'il entend ne proviennent pas d'une bande préenregistrée, interrompt sa conversation et lance du fond de la salle: «Matthew! Stop!» Spontanément, les quelques centaines de figurants présents dans le théâtre ont généreusement applaudi le jeune musicien.

Un choix logique

Après plusieurs semaines de tournage à Montréal, une bonne partie de l'équipe de production s'est amenée à Sofia afin d'y tourner, pendant trois jours, des scènes de concert. Plusieurs raisons ont motivé ce choix, explique la productrice Denise Robert.

«D'abord, il fallait trouver des salles qui peuvent laisser croire que nous sommes à la salle Pleyel de Paris ou au Carnegie Hall de New York. Ce genre d'endroit n'existe pas à Montréal. Puis, il y a aussi des raisons d'ordre financier. En matière de coûts de production, la Bulgarie reste encore abordable, alors que d'autres pays de l'Est, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie, notamment, ne le sont plus.»

Sofia dispose aussi d'un orchestre symphonique, le SIF 309 (voir encadré), dont l'expertise dans le domaine de l'enregistrement de musiques de films est désormais reconnue sur le plan international. Encore là, le facteur pécuniaire a pesé lourd dans la balance. Le budget de près de 7 millions de dollars du film, fort honorable dans les circonstances, reste quand même modeste pour une production cinématographique aussi ambitieuse.

«Faire appel à un orchestre de 75 musiciens est pratiquement impensable au Québec, ajoute la productrice. Le coût est beaucoup trop élevé. En Bulgarie, c'est faisable. Et parmi ces musiciens, plusieurs d'entre eux ont aussi fait de la figuration!»

Le projet d'une vie

Pour Luc Dionne, qui a fait son entrée au cinéma il y a quatre ans grâce à Aurore, le tournage d'André Mathieu constitue l'aboutissement de plusieurs années de réflexion, d'espoirs et d'écriture.

«La musique a toujours fait partie de ma vie, dit celui dont la mère est pianiste. Il y a quelques années, j'ai entendu, par hasard, Alain Lefèvre parler d'André Mathieu et je n'ai pas pu m'empêcher de lui téléphoner pour lui dire à quel point j'avais envie de faire un film.»

Prenant l'un des «pianothons» auxquels Mathieu, alors déchu, a participé comme point d'ancrage au récit, Dionne compte proposer un portrait plutôt impressionniste de la vie du compositeur, dont le destin fut aussi fulgurant que tragique.

«Tout part de son oeuvre, explique Dionne. Voilà l'aspect que je veux mettre de l'avant, d'abord et avant tout. Le récit s'est construit autour des pièces musicales, très révélatrices des états d'âme de Mathieu à différentes étapes de sa vie. Évidemment, il y a une partie biographique, mais la structure est quand même plus éclatée que dans un biopic classique. C'est la musique qui mène.»

N'ayant jamais travaillé à l'étranger auparavant, le réalisateur ne cache pas qu'il appréhendait ces trois jours de tournage à Sofia. Ses inquiétudes se sont toutefois vite estompées, les équipes québécoises et bulgares s'étant apprivoisées très rapidement. Sur le plateau, les indications sont données en anglais et traduites ensuite en bulgare. Les réactions plus instinctives, elles, sont exprimées dans la plus pure langue de Tremblay.

«J'ai toujours rêvé de faire un film musical avec grand orchestre, précise le cinéaste, aussi unique auteur du scénario. Penses-tu que je ne suis pas heureux ici? Si je m'étais écouté tout à l'heure, j'aurais demandé au chef - c'est le directeur de l'Opéra de Bulgarie - de me prêter sa baguette juste pour avoir le plaisir de diriger l'orchestre moi-même pendant quelques minutes! La musique de Mathieu me touche, m'émeut. Je me trouve vraiment choyé.»

Il est maintenant près de 20h, au 35e - et tout dernier - jour du tournage. Le plan final est mis en boîte; l'ultime «coupez!» vient de retentir. Le tournage est fini; la pression tombe; les émotions sortent. Visiblement, il n'y a pas que la musique de Mathieu qui fait pleurer.

André Mathieu en quelques dates

18 février 1929:
Naissance d'André Mathieu à Montréal.

1934:
À l'âge de 5 ans, l'enfant prodige donne son premier concert public à Montréal.

1936:
Départ pour Paris, où la critique l'encense.

1939:
La guerre éclate. Retour à Montréal.

1942:
Premier prix de composition du concours de l'Orchestre philharmonique de New York. Mathieu a 13 ans.

1947:
Sortie du film québécois La forteresse (Fedor Ozep) dans lequel est utilisé son Concerto de Québec.

1949:
Grande tournée québécoise organisée par Pierre Péladeau.

1954:
Les «pianothons» annoncent le début de la déchéance.

2 juin 1968:
Mort d'André Mathieu à l'âge de 39 ans.
Source: Georges Nicholson (alainlefevre.com)