Youssou N'Dour porte le bleu royal, très royal, lorsqu'il se présente une première fois sur scène dans ce film documentaire intitulé I Bring What I Love, une production de 100 minutes qui lui est entièrement consacrée.

«Moi, Youssou N'Dour, appelle l'Afrique et les Africains...» chante-t-il d'entrée. Credo panafricaniste, appel à la paix, au travail, à l'ordre social, à la réunification, à la réconciliation, à la fin de la souffrance sur le continent noir. Public africain en liesse, avez-vous déjà déduit. Youssou N'Dour n'y fait pas simplement office de superchanteur, mais encore s'y affirme-t-il comme un guide authentique de tradition griotte.

Ainsi, Elizabeth Chai Vasarhelyi dresse le portrait d'un chanteur immensément populaire dans son pays, en Afrique, dans le monde entier. Et dont la religion musulmane est constituante de l'identité. Pendant quatre années, la documentariste et son équipe suivront la piste de Youssou N'Dour.

Le film raconte la trajectoire glorieuse du fils et petit-fils de griotte (en Afrique de l'Ouest, les griots sont une caste de musiciens, conteurs et gardiens de tradition), élevé en partie par sa grand-mère qui avait naguère chanté pour les rois et les hauts gradés du continent noir. On verra d'ailleurs le chanteur rendre visite à sa vieille grand-mère, de qui il a reçu une part importante de son éducation et de son attachement aux traditions ouest-africaines.

On visionne des photos et films d'époque qui relatent l'adolescence du chanteur, ses escapades dans un club de Gambie où il avait commencé à chanter professionnellement, et où il a pu prendre contact avec les chanteurs de l'époque - Pape Touré, Moussa Ngom, etc. On rappelle le projet ambitieux du jeune Youssou, celui de créer un style musical moderne, fondé sur les traditions sénégalaises: le m'balax du Super étoile de Dakar, fameux groupe dont il est alors le soliste.

Un témoignage élogieux de Peter Gabriel nous ramène aux premières percées de Youssou en Occident, à son premier tube mondial (Seven Seconds) entonné avec Neneh Cherry. Puis on met en relief son engagement dans différentes causes humanitaires: Live 8 de 2005, lutte contre la malaria, etc. On aperçoit Youssou marcher aux côtés de Bono, on le voit à Paris en interview plaider pour «que les Occidentaux sachent que l'Afrique ce n'est pas que la misère. Que la diversité des cultures n'y est pas un obstacle mais plutôt une richesse.»

Youssou le mystique

On découvre également le Youssou mystique. Il assiste à la prière, parmi les dévots de la mosquée prosternés en direction de La Mecque. À maintes reprises, le chanteur et ses compatriotes honoreront la mémoire d'Ahmadou Bamba, guide spirituel sénégalais (soufi) qui fut contraint à l'exil à la fin du XIXe siècle. On constate alors que Youssou voit clairement dans le maintien de la religion musulmane un rempart contre le colonialisme occidental.

Ainsi donc, Youssou a entrepris de rendre hommage à sa foi musulmane en s'adjoignant des artistes égyptiens sous la direction de l'arrangeur et compositeur Fathy Salama, qui ont ensuite pris part à une tournée dont la première mondiale a eu lieu à Fez, au Maroc.

Le documentaire se penche notamment sur la controverse entourant la création d'Egypt, un disque d'abord critiqué et boudé au Sénégal avant d'y être acclamé. On observe que Youssou a touché un tabou: mêler la foi musulmane à la musique profane. Qu'à cela ne tienne, le chanteur y défend sa démarche. Ce qu'il poursuit au bout du fil à l'occasion d'une brève interview téléphonique avec La Presse.

«Un jour, raconte-t-il, nous avons tourné un vidéoclip dans un lieu saint. Certains nous ont vus faire et ont mal interprété. Sincèrement, je croyais qu'Egypt n'allait que faire du bien aux gens. Je ne m'attendais pas à cette polémique-là. Or, quand les gens ont vraiment pris conscience du contenu de cet album, ils ont réalisé que j'avais fait autre chose. Ainsi, Egypt est devenu album fondamental dans ma discographie, très différent de ce que j'avais fait jusque-là. Egypt est non seulement une proclamation de ma foi telle que je la vis chez moi, mais aussi une rencontre musicale très intéressante entre les instruments acoustiques de l'Égypte et du Sénégal.»

Egypt finira par remporter un Grammy aux É.-U. Youssou sera félicité par le président de son pays et présentera la matière de l'album au Carnegie Hall de New York. Le chanteur y rayonnera avec ce net sentiment d'avoir librement proclamé ses valeurs spirituelles.

« Non seulement cette religion va-t-elle attirer beaucoup plus de monde à l'avenir, mais encore... tout est écrit dans le Coran, ajoute-t-il en entrevue. C'est un guide extraordinaire.»

Le doute, Youssou N'Dour ne semble pas connaître.

I Bring What I Love a pris l'affiche en version originale anglaise seulement.