Après avoir ouvert la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, il y a quelques mois, Francis Ford Coppola est enfin en mesure d'offrir son nouveau film, Tetro, au public nord-américain. Il s'agit d'un film où rien n'est autobiographique, mais où tout est vrai...

Francis Ford Coppola. Ce nom mythique évoque à lui seul l'une des périodes les plus glorieuses du cinéma américain. The Godfather, The Conversation, Apocalypse Now, produits dans les années 70 à l'intérieur du système des grands studios, tiennent aujourd'hui bien leur place dans la grande histoire du septième art. Plus de trois décennies plus tard, le maître n'entretient pourtant pratiquement plus aucun lien avec Hollywood.

«L'industrie ne s'intéresse plus au cinéma, a expliqué Coppola, la semaine dernière, au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse. Tout est désormais tellement orienté vers l'argent que plus personne n'ose maintenant prendre de risques, y compris les studios spécialisés dans les films plus ambitieux sur le plan artistique.»

Le risque, Coppola connaît. C'est ce qui l'a poussé à accepter l'offre de réalisation de The Godfather alors qu'il ne connaissait strictement rien au monde des gangsters et de la mafia.

L'aventure épique du tournage d'Apocalypse Now a aussi été éprouvante sur les plans humain et pécuniaire. Pour se refaire, le cinéaste s'était d'ailleurs lancé dans un projet inédit et ambitieux, One from the Heart, produit grâce à sa société American Zoetrope. L'échec a été si cuisant qu'il a entraîné sa faillite.

Des productions plus modestes, The Outsiders, Rumble Fish, l'ont remis en selle sur le plan artistique au début des années 80. Depuis, la vie n'a pas été qu'un long fleuve tranquille. Que non. Le cinéaste a en outre souvent déclaré qu'il avait dû se résoudre à consacrer ses énergies à des projets alimentaires pendant 10 ans afin d'effacer une dette de 30 millions. À 70 ans, Coppola propose aujourd'hui Tetro, l'un de ses films les plus personnels.

«Il s'agit de mon premier scénario original depuis The Conversation, il y a 35 ans! fait-il fièrement remarquer. J'aurais voulu m'y mettre bien avant, mais la vie m'a entraîné ailleurs. Après The Godfather, tout s'est enchaîné de telle sorte que je n'ai finalement pas eu l'occasion de m'atteler à l'écriture. Quand j'ai commencé à écrire Tetro, je me suis rendu compte à quel point cela m'avait manqué.»

Tetro est un drame sur fond de rivalités au sein d'une famille d'artistes. Coppola se plaît à dire que son film ne comporte aucun élément autobiographique, mais que tout y est authentique.

On y suit la quête de Bennie (Aiden Ehrenreich), un jeune homme venu à Buenos Aires pour retrouver son frère aîné Angelo (Vincent Gallo), parti sans laisser d'adresse il y a plusieurs années pour commencer une nouvelle vie sous le nom de «Tetro». Forcément, les vieilles blessures vont se rouvrir.

Le cinéaste a tourné son film en noir et blanc pour faire écho à des oeuvres qu'il admire particulièrement, America America de Kazan et La notte d'Antonioni notamment. Seuls les retours en arrière empruntent les couleurs de la réalité.

«Cette vision s'est imposée dès l'écriture, explique Coppola. Aucun producteur ne veut désormais financer des films en noir et blanc, même si cette volonté découle d'une véritable démarche artistique. C'est dommage.»

Quant aux rivalités familiales auxquelles le récit fait écho, l'auteur cinéaste n'a évidemment pas eu à chercher bien loin: père et oncle musiciens; enfants cinéastes, neveu acteur. Une phrase terrible est d'ailleurs lancée par le père-chef d'orchestre à son fils Angelo: «Il ne peut y avoir qu'un génie dans la famille.»

«Je savais que cette réplique frapperait l'imagination, concède Coppola. Et il est vrai que cette phrase fut déjà prononcée - je ne dirai pas par qui - il y a très longtemps. Quand il y a une concentration de talents au sein d'une même famille, cela provoque des sentiments particuliers sur le plan humain, mais pas obligatoirement conflictuels. Au contraire. C'est pourquoi il y a un peu de moi dans tous les personnages de ce film. Cela dit, j'ai moi aussi beaucoup admiré mon frère aîné. J'ai eu du mal à comprendre pourquoi il avait décidé de partir.»

Le dernier âge d'or

Coppola ne carbure pas à la nostalgie. Contrairement à certains observateurs, qui estiment que le cinéma américain a vécu son dernier âge d'or au cours des années 70, le cinéaste préfère se tourner vers le présent et l'avenir.

«Les studios ne peuvent plus mettre ce genre de projets de l'avant aujourd'hui. Cela ne veut toutefois pas dire qu'il ne se fait plus de bon cinéma en Amérique. Les meilleurs films sont produits à l'extérieur du système. Il y a un foisonnement d'auteurs extrêmement intéressants - Solondz, Haynes, Van Sant et plusieurs autres - qui parviennent malgré tout à s'imposer. Évidemment, quand on voit ce que Hollywood nous propose semaine après semaine, c'est sûr qu'il n'y a pas lieu de s'enthousiasmer. Mais il y a - et il y aura toujours, je pense - des voix originales qui arrivent à se faire entendre. Et qui nous redonnent foi en cet art que nous aimons tant.»

«Et puis, les moyens de diffusion sont aussi en train de changer. Ils ne sont plus seulement l'apanage des grands studios. À mon avis, le salut passe par un cinéma produit de façon indépendante. C'est là que passe le mien en tout cas!»

«Je ne crois pas vraiment, poursuit-il, à cette notion de dernier âge d'or. Vous savez, chaque époque a ses défis. Il n'y avait rien d'évident au moment où j'ai réalisé The Godfather ou Apocalypse Now, croyez-moi!»

Sans être un tournant, Tetro marque assurément une nouvelle étape dans la carrière d'un cinéaste qui a toujours envie d'explorer son art. Un nouveau film, dont il écrit aussi le scénario, est déjà en chantier. Il espère pouvoir le tourner le plus tôt possible en le finançant de façon entièrement indépendante.

«Vous savez, j'ai un vignoble, des hôtels, des restaurants. J'ai eu ma part de difficultés, mais la vie est très bonne. Il s'agit simplement de s'ouvrir et d'accueillir ce qui se présente.»

______________________________________________________
Tetro prend l'affiche en version originale anglaise demain, le 14 août.