Il y a 40 ans, tous les rêves de jeunesse des baby-boomers se sont cristallisés en trois jours «d'amour, de paix et de musique». Le nouveau film d'Ang Lee utilise Woodstock comme décor afin de raconter un petit épisode de bonheur.

Ang Lee a procédé à l'envers de l'histoire. Il y a 12 ans, il a dressé un portrait sensible et saisissant d'une génération peu à peu atteinte par la désillusion dans The Ice Storm, dont l'intrigue était campée en 1973.

«Quatre ans plus tôt, en 1969, a eu lieu l'événement le plus rassembleur de la génération des baby-boomers, a récemment fait remarquer le cinéaste au cours d'une rencontre de presse à New York. Woodstock est probablement le dernier point d'orgue de cette époque. Après, les lendemains ont commencé à déchanter. The Ice Storm en était l'illustration. C'était la gueule de bois après une grande fête!»

En 1969, Ang Lee était âgé de 14 ans et vivait à Taiwan. Il ne connaissait encore rien de l'Amérique. Jamais l'adolescent qu'il était alors n'aurait pu penser qu'un jour il évoquerait dans un film l'un des événements les plus mythiques de la culture américaine et occidentale.

«Pour nous, dans notre île, la marche de l'homme sur la Lune revêtait une importance bien plus grande que ce festival de boue dont on voyait quelques extraits en noir et blanc à la télé, explique le cinéaste. À vrai dire, nous ne partagions pas tout à fait le sentiment de contestation des jeunes Occidentaux. La société taiwanaise était déjà très conservatrice. Des bases de l'armée américaine étaient installées sur notre territoire. Les GI faisaient escale chez nous avant de se rendre au Vietnam.»

Tout cela est bien loin, maintenant. D'autant plus que, aux yeux du réalisateur de Brokeback Mountain, le mythe Woodstock s'est amplifié - et magnifié - au fil des ans. Quand le projet de faire un film sur l'événement a été lancé, l'idée de reconstituer le spectacle sur scène a immédiatement été écartée.

«De toute façon, ce film existe déjà et il s'agit d'un chef-d'oeuvre!» fait remarquer Lee.

Le documentaire de Michael Wadleigh, gratifié d'un Oscar, a évidemment marqué les esprits. Les concepteurs de Taking Woodstock s'en sont surtout inspirés pour une question de style. Comme l'avaient fait leurs aînés il y a 40 ans (dont Martin Scorsese), une quinzaine de jeunes cinéastes se sont emparés de caméras pour filmer les figurants, histoire de donner au film son caractère «documentaire». Lee n'a utilisé aucune scène d'archive.

«Le film sur les artistes ayant été fait, nous nous sommes concentrés sur les spectateurs, explique le cinéaste. Le spectacle n'est évoqué qu'en toile de fond. De toute façon, la vaste majorité des gens sur place n'ont pu entendre que de loin et n'ont vu que des personnages minuscules sur scène!»

Libre adaptation

Un peu à la manière de l'événement, qui a eu lieu pratiquement par accident, Taking Woodstock est né d'une rencontre inattendue. Invité à une émission de télévision à l'occasion de la sortie de son film précédent, le magnifique Lust, Caution, Ang Lee a fait la connaissance d'Eliot Tiber, invité à titre de coauteur du livre autobiographique Taking Woodstock, A True Story of A Riot, A Concert, and A Life.

«Après plusieurs films dramatiques, j'avais envie d'un peu de légèreté. J'ai vu dans l'histoire d'Eliot de belles possibilités en ce sens. Nous nous en sommes librement inspirés, James Schamus et moi, pour construire un récit dans lequel la vie d'une famille se trouve complètement chamboulée à cause de ce concert.»

Cette famille, c'est celle d'Eliot (Demetri Martin), un jeune homme obligé de retourner vivre chez ses parents dans une petite localité du nord de l'État de New York. En tentant de reprendre en main la gestion du motel délabré de sa famille, Eliot saisit l'occasion de renflouer un peu les affaires quand il apprend qu'une bourgade voisine a refusé d'accueillir un festival de musique «hippie». Trois semaines et 500 000 personnes plus tard, personne ne sera jamais plus le même, y compris le jeune homme, qui décide d'assumer son homosexualité à cette occasion.

«Il s'agit d'un moment probablement unique dans l'histoire de l'humanité, observe Ang Lee. Grâce au baby-boom d'après-guerre, les jeunes formaient alors plus de 50 % de la population. Je doute que cela puisse survenir de nouveau un jour dans le monde occidental.»

Un premier rôle

Le rôle d'Eliot a été confié à Demetri Martin, dont il s'agit de la toute première présence à l'écran. C'est la fille de James Schamus, auteur du scénario, directeur du studio Focus Features et producteur des 11 longs métrages d'Ang Lee, qui a attiré l'attention de son père sur ce jeune humoriste, dont certains sketchs, notamment The Jokes with Guitar, sont très prisés sur YouTube.

«Quand j'ai lu la biographie d'Eliot, je me suis vraiment demandé si j'allais être capable de jouer cela, raconte Martin. J'ai franchement été soulagé quand j'ai reçu le scénario. J'ai alors pu me rendre compte que le récit n'était pas une adaptation fidèle du livre, dont certains passages sont plutôt heavy

Les épisodes plus crus de la vie gaie de Tiber ont volontairement été écartés d'un récit dont les artisans voulaient surtout conserver l'aspect euphorique. «L'homosexualité était un drame dans Brokeback Mountain, fait remarquer James Schamus. Dans Taking Woodstock, Eliot assume son orientation sexuelle sans aucun problème.»

Ang Lee travaille présentement à l'adaptation de L'histoire de Pi, le célèbre roman de Yann Martel.

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Taking Woodstock prend l'affiche le 28 août en version originale anglaise seulement. Les frais de voyage ont été payés par Alliance Vivafilm (Focus Features).