Pour Atom Egoyan, Julianne Moore n'a pas craint de plonger dans des zones troubles. Dans Chloe, elle livre une performance vibrante.

Un couple bourgeois, ensemble depuis toujours. Elle soupçonne qu'il la trompe. Elle veut en avoir le coeur net. Elle embauche une prostituée à qui elle donne la mission de séduire son mari et de lui faire rapport ensuite. Avec force détails. Cette histoire semble familière? Elle l'est. Le scénario de Chloe est inspiré par celui de Nathalie, un film d'Anne Fontaine dans lequel Fanny Ardant faisait appel à Emmanuelle Béart pour séduire Gérard Depardieu.

«Il s'agit plus d'une réinvention que d'un remake, a toutefois fait remarquer Atom Egoyan au cours d'une entrevue accordée hier à La Presse. Ce projet m'a intéressé parce qu'il me donnait la possibilité d'explorer une avenue que je n'aurais probablement pas empruntée moi-même sur le plan de l'écriture. J'y aurais trop vu le piège de la formule.»

Pour la première fois de sa carrière, l'enfant chéri du cinéma canadien porte à l'écran un scénario sur lequel il n'a pas travaillé au départ. Du coup, Chloe devient probablement son film le plus accessible, le plus limpide sur le plan narratif. Et le plus susceptible de plaire à un large public.

Pourtant, Chloe n'en est pas une grande réussite pour autant. Pour quiconque a vu Nathalie, l'exercice paraîtra en effet un peu étrange. Le réalisateur d'Adoration a ajouté certains éléments au récit (dont nous ne pouvons révéler la nature), lesquels, justement, le font parfois basculer dans le «piège de la formule». Le drame psychologique laisse progressivement ainsi la place au thriller.

Même si certains choix se révèlent plus discutables au chapitre du scénario, force est de constater que le cinéaste propose quand même ici une production impeccable. Chloe est un film très riche, dont l'atmosphère teintée d'érotisme n'est pas sans évoquer celle d'Exotica. Toronto, la ville où l'intrigue fut transposée, est amoureusement filmée.

«Je sais que vous allez rire, vous de Montréal, mais Toronto est une ville très sexy, dit Egoyan. Il y a plein d'endroits chargés d'érotisme, mais cet aspect de notre ville se laisse deviner beaucoup plus secrètement qu'ailleurs. J'ai aussi voulu évoquer cela dans le film.»

Subtilité et finesse

Un trio de choc a par ailleurs été réuni devant la caméra d'Atom Egoyan: Julianne Moore, Liam Neeson et Amanda Seyfried.

«Dès que j'ai su qu'Atom était lié à ce projet, j'y ai tout de suite porté une attention particulière, a confié Julianne Moore en entrevue. Entre les mains d'un autre, ce scénario aurait facilement pu être exploité de façon sensationnaliste. Atom fait plutôt dans la subtilité, dans la finesse. Je l'admire depuis très longtemps.»

Il y a des scènes délicates dans Chloe. Outre celles qui sont teintées d'érotisme, plusieurs séquences font écho à la grande vulnérabilité émotionnelle de personnages qui, d'une certaine façon, se font prendre à leur propre jeu.

«J'étais totalement en confiance, explique l'actrice. Atom et moi avons beaucoup discuté avant le tournage. Habituellement, je ne souhaite pas qu'un cinéaste me parle trop du personnage, car il en résulte parfois des indications contradictoires. Avec Atom, ce n'était pas pareil. Il aime parler. Et sa vision du personnage - et du film - était fascinante.»

Julianne Moore n'a jamais craint de prêter son talent à des cinéastes dotés d'une vision cinématographique singulière. Robert Altman (Short Cuts), Todd Haynes (Safe, Far from Heaven, I'm not There) et Paul Thomas Anderson (Boogie Nights, Magnolia), notamment, lui ont donné de beaux rôles. Depuis quelques années, elle aime aussi se fondre dans les univers de cinéastes étrangers.

«Le cinéma s'internationalise de plus en plus et je trouve cela formidable, dit-elle. Cela nous donne la chance de voir le monde sous des angles différents, qui font aussi écho à notre condition humaine.»

Méticuleuse dans ses choix, l'actrice parvient à trouver des rôles intéressants, même dans un contexte où - c'est ce qu'on affirme souvent - les beaux personnages féminins d'âge un peu plus mûr se font très rares au cinéma.

Elle n'a pas encore vu Nathalie. «Mais maintenant que Chloe est fait, je suis curieuse de voir le film qui l'a inspiré.»

Julianne Moore est aussi l'une des têtes d'affiche de A Single Man, le premier long métrage du célèbre couturier Tom Ford, lequel fait aussi l'objet d'une présentation au festival de cinéma de Toronto.