Être groupie à 60 ans, c'est possible. Parlez-en aux dames en bleu qui continuent d'aduler Michel Louvain et à qui Claude Demers vient de consacrer un documentaire présenté ce soir en ouverture du 38e Festival du nouveau cinéma.

Les films se suivent et se complètent pour Claude Demers. Après Barbiers, qui portait sur le monde des hommes, le cinéaste donne la parole aux femmes dans un documentaire sur le phénomène Michel Louvain.

Autant le dire tout de suite: Les dames en bleu n'a rien d'une musicographie. Loin de retracer la carrière du plus durable de nos chanteurs de charme, le film de Claude Demers dresse plutôt le portrait des femmes qui lui vouent un culte depuis plus d'un demi-siècle.

Un angle tout à fait justifié, quand on sait le lien singulier qui unit Louvain à son public. Cinquante-deux ans après ses débuts, le chanteur continue de déchaîner les passions, comme en témoignent les cinq groupies, choisies parmi 200 candidates recrutées grâce aux petites annonces, qui sont les véritables vedettes de ce film. Certaines ont encadré Louvain à côté de leur mari. D'autres rêvent de «partir» avant lui et d'emmener sa photo dans leur tombe. Intense.

«Beaucoup le voient encore comme quand elles avaient 20 ans, constate Claude Demers. Pour les unes il est resté le prince. Pour les autres, c'est le confident, le mari ou le fils qu'elles auraient aimé avoir.»

Loin de porter un jugement sur cette obsession, le réalisateur dresse un portrait touchant de ces «petites madames» issues de milieux simples et populaires, adeptes de bingo et de téléromans d'après-midi. Un hommage à ses propres racines, dit-il, mais aussi une façon de donner la parole à cette majorité silencieuse qu'on écoute trop peu souvent. Car après tout, insiste-t-il, «ce sont aussi ces femmes qui ont fait l'histoire de ce pays. Ce sont nos voisines, nos mères ou nos grands-mères. Ce sont des héroïnes de l'ordinaire qu'on méconnaît.»

Claude Demers n'a manifestement pas eu trop de difficulté à entrer dans leur intimité sans flaflas. Bien vite, ces femmes passent à la confidence, partageant sans pudeur leurs réflexions sur la vie, la mort, l'amour, la vieillesse et la solitude. Pas toujours «jojo», mais profondément réaliste.

Leur quotidien semble d'autant plus modeste qu'il contraste avec celui du chanteur au bronzage éclatant, qui se trimballe pendant toute la durée du film en voiture sport décapotable. Voilà peut-être la clé de cette relation passionnelle. Louvain reste pour elles un icône, l'étoile aux vestons blancs fabuleux et à la «peignure» irréprochable, qui leur permet, encore aujourd'hui, de rêver par procuration.

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Fait à noter, Les dames en bleu est le tout premier documentaire jamais consacré à Michel Louvain.

Considérant l'importance du bonhomme dans l'imaginaire collectif québécois, cela a de quoi surprendre. Louvain n'est pas seulement le chanteur pour petites dames qui animait De bonne humeur. Il a été la première star véritable de notre showbiz, notre «Elvis» à nous, celui qui, dès la fin des années 50, provoquait l'hystérie et les évanouissements.

Le film de Claude Demers rend manifestement justice à ce phénomène culturel. Mais il ne doit pas occulter le fait que Louvain, 72 ans, n'a toujours pas été «hommagé» par l'ADISQ pour les services qu'il a rendus à l'industrie du disque québécois.

Ce manque de reconnaissance n'est pas sans décevoir le principal intéressé, qui admet lucidement être perçu comme un «has been» par les nouvelles générations de décideurs.

«L'ADISQ, je n'y suis jamais allé. C'est un clan et je sais bien que je ne fais pas partie de cette clique, conclut le chanteur sans cacher sa lassitude. J'ai longtemps trouvé ça blessant, mais la plaie commence à s'endurcir. Quand je vois des films comme Les dames en bleu, je me dis que mon trophée, c'est le public. C'est lui, ma famille...»

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LES DAMES EN BLEU prendra l'affiche en salle à Montréal le 16 octobre et en province le 23 octobre.