À l'extérieur des locaux du Vieux-Montréal où sont recréés les bureaux de la compagnie Totally Unnecessary Production, l'acteur Paul Giamatti discute avec le réalisateur Richard J. Lewis.

L'ambitieuse production canado-italienne de Barney's Version (d'après le roman de Mordecai Richler) arrive à ses derniers milles. Cette semaine, Giamatti, Macha Grenon et les autres membres de l'équipe de Barney's Version tournent des scènes intérieures, après avoir immortalisé le monde de Richler dans le Mile End, le Ritz, chez Moishes, les Cantons-de-l'Est ainsi qu'à Rome.

Le producteur Robert Lantos nous entraîne dans le bureau fictif de Barney Panofsky, alcoolique invétéré aux amours vouées à l'échec et producteur blasé de la série O'Malley of the North, qui en est à sa 30e saison.

Amusante mise en abîme: à une certaine époque, Lantos était lui-même producteur de la série Due South, dont se moque Richler dans son dernier roman. Et comme par hasard, Paul Gross (qui jouait le personnage principal dans cette série canadienne) est aussi de la distribution de Barney's Version.

«Il y a plusieurs gags dans le film que seuls Mordecai et moi allons comprendre», concède Lantos, qui a acheté les droits du dernier opus de Richler il y a 12 ans. Le producteur de Joshua Then and Now rêvait donc de transposer à l'écran l'univers de Richler depuis longtemps. Mais il s'est avéré qu'il n'était pas simple d'adapter pour le cinéma le roman qui a valu à Richler un Giller. «Je ne voulais pas faire un film avant d'avoir un scénario aussi bon que le livre.»

Mordecai Richler a lui-même tenté l'exercice, mais la maladie l'a forcé à abandonner le projet. Puis, Robert Lantos a recruté deux scénaristes oscarisés, qui n'ont pas été à la hauteur de la tâche. Contre toute attente, c'est une recrue, le jeune scénariste Michael Konyves, qui a réussi le périlleux passage du livre à l'écran.

«J'ai choisi de concentrer le scénario sur l'histoire d'amour entre Barney et sa troisième femme Miriam (jouée par la Britannique Rosamund Pike). Le film tourne autour de leur rencontre, Barney qui tombe amoureux d'elle et la perd. J'ai aussi mis l'accent sur la relation avec son meilleur ami», résume le scénariste anglo-montréalais, qui partage son temps entre Los Angeles et Montréal.

Grenon et Giamatti

Pendant que nous discutons de la difficulté d'adapter pour le grand écran ce dense roman de plus de 400 pages, Macha Grenon donne la réplique à Paul Giamatti, dans une scène autour d'une machine à café aussi pathétique que loufoque. Grenon défend Solange, la vedette vieillissante du soap O'Malley of the North, qui entend partir pour la Bulgarie où elle a de nombreux fans. Giamatti, alias Barney, lui sert une crise d'hystérie d'un manque de tact épouvantable, révélant ensuite les premiers signes de la maladie d'Alzheimer...

«Jouer avec Paul Giamatti est un privilège. C'est très inspirant, très stimulant, il est très drôle et très humble», affirme Macha Grenon, excessivement maquillée et coiffée d'une perruque blonde très «70s», pour les besoins de son rôle caricatural.

En lisant sur la vie de Mordecai Richler et en travaillant sur Barney's Version, l'actrice confie avoir appris des éléments historiques qu'elle ignorait sur Montréal. «Je ne connaissais pas l'histoire du quartier Outremont, du Mile End, des ghettos...»

Cela va de soi: Montréal est un personnage à part entière de Barney's Version. «J'ai voulu filmer dans des endroits qui avaient un sens aux yeux des gens», relate le réalisateur torontois Richard J. Lewis.

Le boulevard Saint-Laurent, les bagels, le bar Gibby's... Les Montréalais se reconnaîtront facilement dans cette traversée en trois décennies du monde de Barney Panofsky. Pour la scène du mariage avec la seconde femme Clara (la Montréalaise Rachelle Lefebvre), l'équipe a offert au Ritz Carlton une cure de jouvence, en lui redonnant l'allure qu'il avait en 1977. «Nous avons transformé la salle de bal et refleuri le jardin, pour la scène du mariage où il y avait 250 figurants», relate avec enthousiasme Michael Konyves.

«Mordecai Richler est une icône de la culture montréalaise, tout comme Leonard Cohen et Michel Tremblay. Il n'a jamais été envisagé de tourner ailleurs qu'ici», ajoute la coproductrice Lyse Lafontaine, qui précise aussi que Rome a remplacé le Paris du roman, pour les scènes évocatrices de la jeunesse de Barney.

Quant à Paul Giamatti dans le rôle de Barney, il paraît que c'était écrit dans le ciel. «Quand je l'ai vu dans Sideways, j'ai su que c'était lui», lâche Robert Lantos, qui dit que peut-être un seul autre acteur aurait pu se glisser dans la peau du producteur irascible. Il s'agit de Dustin Hoffman qui, finalement, tient le rôle du paternel Izzy. Denys Arcand, Atom Egoyan, David Cronenberg ainsi que les fils de Richler, Josh et Noah, ont aussi accepté des petits rôles dans Barney's Version.

C'est Mordecai Richler qui doit bien rigoler dans sa tombe...