La traite de personnes au Canada est la troisième forme de trafic reconnue sur le plan international, après ceux des armes à feu et de la drogue. Dans Avenue Zéro, Hélène Choquette braque sa caméra sur une situation aussi épineuse que désolante.


« J'ai toujours fait des documentaires «caméra à l'épaule», dans la tradition du cinéma direct. Je voulais appliquer cette même approche dans Avenue Zéro. Comme je ne pouvais pas vraiment montrer des victimes, il m'a fallu suggérer cet univers», exprime la réalisatrice, qui a consacré une année de recherche au projet, rencontré 100 organismes et interviewé une dizaine de victimes.

Soucieuse d'éviter le voyeurisme, elle s'est intéressée au sort de femmes asiatiques confinées 24 heures sur 24 dans des salons de massage de Vancouver, à des aides familiales privées de liberté, à de jeunes Honduriens illégaux entraînés dans la vente de drogue et à des adolescentes recrutées par des gangs de rue pour faire de la prostitution.

En résulte un film nuancé, qui se construit sans se presser sur une recherche fouillée ainsi que divers témoignages, dont celui d'une «passeuse» d'immigrants illégaux et le récit à visage découvert d'une jeune femme brisée par un gang de rue, entraînée dans la prostitution à l'âge de 12 ans. «Elle était persuadée que son témoignage pourrait convaincre des filles de ne pas suivre des gars comme elle l'a fait.»

Dans l'enfer de l'eldorado

Le premier problème avec ce sujet complexe, souligne Hélène Choquette, est la difficulté d'identifier clairement les cas de sévices et d'amener les victimes à dénoncer leurs agresseurs.

«Je suis partie de la définition onusienne, qui est très vaste. Dans mon film, j'aborde différentes formes de traite, mais j'aurais pu en inclure d'autres», relate la cinéaste, qui trouve délicat d'évoquer l'aspect ethnique de la chose. Une famille d'Arabie Saoudite qui émigre avec une nanny est-elle coupable d'exploitation? «Les gens arrivent ici avec leur mentalité et il ne faut pas croire que tout le monde est criminel. Or, il est important d'expliquer aux nouveaux arrivants ce qui est illégal au Canada.»

Dans certains cas, poursuit la cinéaste, la barrière de la langue protège les exploiteurs. «Certains salons de massage dont la clientèle est asiatique annoncent dans les journaux en mandarin. Dans les fermes de petits fruits de la vallée de l'Okanagan, on ne sait pas ce qui se passe avec les travailleurs de l'Inde du Sud-Est. C'est impossible d'enquêter et de dénoncer, s'il n'y a pas de plainte.»

La forte immigration asiatique rend Vancouver plus propice aux cas de traites de personnes, explique Hélène Choquette, qui mentionne la menace qui plane à l'approche des Jeux olympiques. «Dans la foulée des Jeux, l'Armée du Salut a fait une campagne de sensibilisation. Les Jeux apporteront-ils plus de cas de traite? C'est l'histoire qui nous le dira.»

Délicat d'avancer des chiffres pour évaluer l'ampleur du phénomène en sol canadien. La GRC qui, en 2005, estimait à 1400 le nombre de victimes de traite de personnes au Canada, ne publie plus de statistiques. Depuis deux ans, la GRC a toutefois inclus les cas d'ados exploités à des fins sexuelles par les gangs de rue, dans sa lutte contre la traite de personnes. Pendant ce temps, certaines ONG avancent l'alarmant chiffre de 16 000 cas. «Cela me semble beaucoup, mais il est difficile de savoir où est la vérité. Certaines ONG confondent violation des normes du travail et traite de personnes.»

Or, la chose existe bel et bien, et Hélène Choquette a voulu en faire la preuve dans son documentaire. Elle a pris connaissance du phénomène, pendant ses recherches sur Bonnes à tout faire, son documentaire sur les aides familiales. «Pendant une année, j'ai suivi trois femmes qui n'étaient pas victimes d'exploitation, mais qui avaient des amies qui, elles, vivaient de l'abus.»

Aux États-Unis, ajoute la cinéaste, le sujet de la traite de personnes est très chaud, en raison des nombreux travailleurs d'Amérique latine qui bossent illégalement dans les sweatshops. Au Canada, il n'y a jamais eu autant de visas temporaires délivrés à des travailleurs qui ne se qualifient pas à l'immigration. Voilà qui pourrait favoriser l'émergence d'une classe de citoyens de second ordre, s'alarme la réalisatrice d'Avenue Zéro.

Vigilance et nuances: tels semblent être les leitmotiv de cette cinéaste engagée, qui s'est intéressée aux réfugiés climatiques (Les réfugiés de la planète bleue) et au multiculturalisme (Marché Jean-Talon). « Les documentaires se font à travers des relations humaines et des réflexions qui se développent au fil des ans. C'est un travail de longue haleine, et on ne devient pas millionnaire avec ça!»

Avenue Zéro, documentaire d'Hélène Choquette sur la traite de personnes au Canada, à l'affiche du Cinéma ONF jusqu'au 31 janvier.