Même s’il n’a rien à voir avec celui d’Anne Fontaine, le film de Jan Kounen a quand même souffert d’être perçu comme le «deuxième» film sur Coco Chanel. Coïncidence, l’histoire commence pourtant là où nous laissait le précédent film…


Il y a 20 ans, Milos Forman a pratiquement vécu le même «malheur» que Jan Kounen. Son très beau film, Valmont, n’avait pas obtenu l’attention méritée car cette adaptation des Liaisons dangereuses arrivait quelques mois après celle – excellente – proposée par Stephen Frears.


«Je savais dès le départ qu’un autre film sur Chanel était en préparation parallèlement au nôtre, expliquait Jan Kounen au cours d’une entrevue accordée récemment à Paris. Je savais aussi que notre approche – et l’épisode de la vie de Chanel auquel nous faisions écho – était bien différente. Je ne me suis pas vraiment préoccupé de tout cela, à vrai dire. Et je crois qu’Anne Fontaine non plus. Du côté des producteurs, c’était bien sûr différent. Il fallait sortir le premier.

J’ai l’impression que l’équipe de Coco avant Chanel a dû beaucoup souffrir pour sortir le film aussi vite. Maintenant, c‘est nous qui souffrons. Quand nous sommes arrivés, la curiosité s’était déjà émoussée.»


Kounen ne regrette pas l’aventure. Le réalisateur de 99 francs affirme en outre avoir réalisé là le film le plus complexe de sa carrière sur le plan de la mise en scène.


«Par rapport à mes films précédents, celui-ci est moins voyant, moins spectaculaire sur le plan visuel, reconnaît-il. Le sujet commandait un parti-pris de classicisme. Même s’il s’agit de ce qu’on appelle une commande, j’estime pourtant qu’il y a autant de moi dans ce film que dans tous les autres.»


Comme le titre l’indique, le récit s’attarde à décrire l’histoire d’amour particulière ayant lié, au début des années 20, la célèbre couturière au compositeur russe. Stravinsky, dont l’œuvre avant-gardiste fut mal comprise à son époque, s’est installé chez Chanel avec femme et enfants. L’acteur danois Mads Mikkelsen, «Le Chiffre» dans Casino Royale, incarne le musicien tourmenté. Face à lui, Anna Mouglalis. Un choix qui, aux yeux du cinéaste, relève de l’évidence.


«Il me fallait une actrice qui puisse à la fois avoir l’air froide et cassante, tout en affichant une grande élégance et beaucoup de sensualité. Anna a tout cela. Et puis, cette voix…»


L’esprit de la maison

Vue récemment dans Gainsbourg (vie héroïque), dans lequel elle prête ses traits à Juliette Gréco, Anna Mouglalis a eu un accès privilégié à Chanel, étant déjà associée à l’image de marque de la célèbre maison.


«M’ayant vue dans le film de Chabrol Merci pour le chocolat, le directeur artistique de Chanel Karl Lagerfeld avait souhaité me voir à l’époque pour faire des photos, explique l’actrice. Ce fut une vraie rencontre. À tel point qu’il m’a demandé d’incarner «l’esprit» de la maison. Sans règles plus précises. Au fil des ans, cette relation avec lui est devenue très riche. Quand je suis arrivée, je ne connaissais strictement rien du monde de la mode et du luxe. Ce fut une initiation à la volupté!»


Féministe convaincue, Anna Mouglalis ne manque pas non plus de relever la nature respectueuse des politiques de la maison. Qui correspondent tout à fait à ses convictions.


«Même si, aujourd’hui, la marque Chanel incarne une certaine forme de conservatisme, j’y vois quand même une forme de résistance, dit-elle. Dans la mesure où il s’agit de l’une des rares maisons de mode à ne pas utiliser la femme comme objet sexuel dans ses pubs. Dans le contexte actuel, cela constitue une forme de résistance. Et j’y trouve mon compte.»


Au sein de Chanel
Ces années passées au sein de Chanel ont bien entendu nourri l’actrice. Qui ne s’attendait pas à devoir incarner un jour la célèbre icône.


«D’une certaine manière, tout ce temps m’a servi à bien préparer le rôle! Tout ce qui se passe dans cette maison fait écho à un pan de la vie de Chanel. On dispose d’archives incroyables. Quand la proposition de Jan est tombée, j’ai lu tout ce que j’ai pu sur elle. Ce qui, dans les circonstances, constitue un travail énorme quand on sait que chaque personne ayant rencontré Chanel, ne serait-ce que trois minutes dans sa vie, a accouché d’un livre!»


L’expérience s’est révélée d’autant plus enivrante pour l’actrice qu’une part de mystère entoure toujours le personnage, même si quantité de biographies officielles ont été publiées.


«Ce que j’aime du film c‘est qu’il prend le personnage au moment où Chanel est devenue la femme qu’elle voulait être, fait remarquer l’actrice. Avec ses contradictions. Coco Chanel était féministe avant l’heure et pourtant, elle était aussi misogyne. Elle avait souvent des relations très conflictuelles avec les autres femmes. Cela me plaisait bien d’explorer ce paradoxe. Et puis, conclut-elle, le passage du temps aussi. Sur les photos, Chanel ne souriait jamais. Elle n’était jamais satisfaite. Et je crois que cela peut être riche d’enseignement à une époque où la satisfaction est devenue une valeur marchande. À partir du moment où l’on est satisfait, le désir n’est plus possible.»


Coco Chanel et Igor Stravinsky prend l’affiche le 23 avril.


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