Septuagénaire, Michael Caine n’a plus envie de tourner n’importe quoi avec n’importe qui. Dans Harry Brown, le premier long métrage du jeune cinéaste anglais Daniel Barber, le grand acteur a trouvé un rôle qui l’a changé en tant qu’homme.

Quand on s’est glissé dans la peau de plus d’une centaine de personnages au cours d’une carrière longue d’un demi-siècle, il est rare qu’un simple rôle vienne changer votre vie. Voilà pourtant ce qui est arrivé à Michael Caine. Grâce à Harry Brown, l’homme, aujourd’hui âgé de 77 ans, porte désormais un regard différent sur sa société. Et la violence urbaine qui la mine de l’intérieur.

«Le scénario de Daniel Barber m’interpellait directement, car l’intrigue se déroule dans le quartier où j’ai grandi à Londres, a expliqué l’acteur au cours d’une interview accordée à La Presse au Festival de Toronto l’an dernier.

Comme bien des gens de ma génération, j’ai parfois du mal à comprendre la société actuelle, le tissu qui la compose, la violence qui en émerge bien souvent. J’avais évidemment tendance à condamner les jeunes. Mais ce film m’a fait voir les choses différemment.»

Harry Brown, le personnage que campe Caine dans ce «western urbain» très violent, est un homme âgé, veuf, habitant un quartier miné par les gangs et le trafic de drogue. Le jour où un vieil ami est tué, Harry, ancien militaire, décide de prendre les choses en main. Et de faire sa propre justice.

«Je sais parfaitement d’où vient cet homme, précise Michael Caine. J’ai moi-même servi en Corée. J’ai connu la pauvreté. Je suis à la fois attristé et inquiet quand je constate à quel point notre société s’est dégradée. Quand j’ai lu le scénario, j’avais l’impression que quelqu’un avait lu dans mes pensées.»

Approche réaliste

L’approche très réaliste qu’emprunte Daniel Barber, cinéaste dont le court métrage The Tonto Woman fut sélectionné aux Oscars il y a deux ans, a aussi convaincu l’acteur.

«Je dirais qu’il ne s’agit pas ici d’un film violent, mais d’un film à propos de la violence, fait-il remarquer. La violence n’est pas là pour titiller ou exciter les foules, bien au contraire. Mais plutôt pour montrer à quel point nous avons créé de toutes pièces une société extrêmement dure. Et puis, il est très rare qu’un film de ce genre soit produit en Grande-Bretagne.»

Au moment du tournage, plusieurs jeunes du quartier ont été mis à contribution. Pendant trois semaines, Sir Michael Caine a entretenu des liens étroits avec eux.

«Ces garçons m’ont carrément changé, lance-t-il. En leur parlant, je n’ai pu faire autrement que de penser à notre responsabilité collective envers eux. Ces jeunes – qui pourraient être mes enfants, les vôtres – ne sont pas de vilaines personnes. Mais nous les avons abandonnés à eux-mêmes. Ils nous renvoient au visage notre propre échec, tant sur le plan des rapports familiaux que sur celui de l’éducation.

Quand on regarde les conditions dans lesquelles ces jeunes-là vivent, on ne peut faire autrement que de penser qu’à force de traiter des gens comme des animaux, ils deviennent des animaux eux-mêmes.»

Pas de retraite

Révélé au début des années 60 grâce à Zulu (Cy Endfield), Michael Caine s’est imposé auprès du public cinéphile avec des films comme Alfie (Lewis Gilbert) et Get Carter (Mike Hodges). Il aura toutefois dû attendre la maturité avant de décrocher les plus grands honneurs. Sa performance dans Hannah and Her Sisters (Woody Allen) lui vaut un Oscar en 1987. Il reçoit de nouveau l’honneur 13 ans plus tard, cette fois pour The Cider House Rules (Lasse Hallström).

Reconnu à une certaine époque pour avoir enchaîné les tournages, parfois même de nature strictement alimentaire, Michael Caine s’offre aujourd’hui le luxe d’espacer ses apparitions à l’écran.

«Maintenant, je n’accepte une proposition que si le scénario me plaît vraiment. Vous savez, je suis encore très actif. La rédaction de la suite de mon autobiographie prend beaucoup de mon temps. Je participe aussi parfois à des tournages de superproductions. J’ai beaucoup de plaisir à travailler avec Christopher Nolan sur les Batman.

Je ne veux cependant travailler désormais qu’avec des gens qui me plaisent. Daniel Barber m’a beaucoup impressionné par sa maîtrise technique, qu’il met au service d’un propos fort.»

Malgré ses 50 années d’expérience, l’acteur affirme ne pas savoir à quoi tient le succès d’un film. «Instinctivement, je sais si j’ai envie de participer à un projet ou pas. En revanche, je ne peux jamais prévoir si un film sera bien reçu par le public. Avec Harry Brown, je m’attends à un accueil plus controversé, car le sujet nous interpelle directement. S’il suscite un débat, tant mieux. Parce que nous sommes tous dans le tort.»

Tant que des cinéastes auront envie de lui proposer des rôles intéressants dans des projets stimulants, Michael Caine a l’intention de répondre présent à l’appel.

«Vous savez, on ne prend jamais sa retraite dans ce métier. C’est plutôt le métier qui vous lâche! Tant qu’on me le permettra et qu’on voudra bien de moi, je serai toujours un acteur.»

Harry Brown prend l’affiche en version originale anglaise le 21 mai.