La vie privée des acteurs peut-elle parfois nourrir une oeuvre artistique? Mademoiselle Chambon n'est en rien inspiré par l'histoire intime qu'ont vécue Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon. Celle-ci a pourtant bien servi le film. D'une certaine façon... 

Au départ, il y a ce roman d'Éric Holder. Que l'auteur cinéaste Stéphane Brizé a lu il y a une dizaine d'années. À l'époque, l'idée de porter à l'écran l'histoire d'amour impossible qu'évoquait l'auteur ne lui a pourtant pas traversé l'esprit.

«J'avais trouvé le livre très beau, mais j'aurais été bien embêté d'en faire un film, expliquait le réalisateur au cours d'une entrevue accordée récemment à La Presse à Paris. Pas assez de bagage en tant que cinéaste, encore moins en tant qu'homme pour être à même de comprendre les motivations du personnage principal. La vie s'est chargée de me mettre à niveau!»

Plus mûr, aussi mieux outillé pour exercer son métier, Brizé s'est «reconnecté» de nouveau avec le roman de Holder le jour où des préoccupations du même ordre ont surgi dans son esprit. Avec des films comme Le bleu des villes ou Je ne suis pas là pour être aimé (Entre adultes est toujours inédit chez nous), Brizé s'est fait le chantre du sentiment délicat. Qu'il expose avec, toujours, beaucoup de finesse. Dans Mademoiselle Chambon, il poursuit sa démarche de façon encore plus subtile, plus dépouillée.

C'est l'histoire d'un «bon gars», solide, maçon de métier, économe de paroles, mais attentif aux autres. Bon fils, bon mari, bon père de famille. Sa vie sera involontairement chamboulée par la rencontre de l'institutrice de son fils, Véronique Chambon. De qui il tombe éperdument amoureux. Tout en résistant de toutes ses forces.

Le protagoniste du roman étant italien, Brizé a d'abord fait appel à un acteur de même origine. Ce dernier s'étant désisté à la dernière minute pour aller tourner «six minutes dans un film de Ron Howard» (le réalisateur américain est remercié au générique!), le cinéaste a fait appel à Vincent Lindon, un acteur à qui il pensait déjà pour un prochain film.

«Sur la simple prémisse d'un maçon qui tombe amoureux d'une institutrice, j'étais conquis, indique l'acteur. Cela nourrit tous les fantasmes déjà!»

Une catastrophe!

Puis, vint le moment où Stéphane Brizé et Vincent Lindon ont discuté casting. Quelle actrice pouvait bien prêter son visage diaphane à la délicate mademoiselle Chambon? Et du coup, évoquer à l'écran une histoire d'amour impossible de façon crédible avec l'acteur?

«Nous avons pensé à pratiquement toutes les actrices françaises en évitant soigneusement d'évoquer le nom de Sandrine, explique le réalisateur. Jusqu'à ce que l'éléphant dans la pièce ne soit plus contournable. J'ai soulevé la question. Vincent a d'abord rejeté l'idée, estimant que de jouer une histoire pareille avec son ex-femme remuerait trop de choses intimes.»

«Le soir même, raconte Vincent Lindon, j'ai rappelé Stéphane en lui disant que ça ne m'arrangeait toujours pas, mais que je n'avais pas le droit de priver Sandrine - actrice exceptionnelle - d'un aussi grand rôle à cause de moi. Ni priver de travail la mère de mon enfant!»

«C'est une catastrophe! , m'a dit Vincent quand il m'a appelée, relate de son côté Sandrine Kiberlain. Au début, on s'est beaucoup demandé comment on allait faire. En revanche, il est certain qu'on ne pouvait passer à côté d'un aussi beau projet. On allait s'en vouloir toute notre vie si l'un des deux devait se sacrifier. Une fois cette discussion faite, restait maintenant à se concentrer plus que jamais sur les personnages afin que nos sentiments personnels ne prennent pas le dessus. Je trouvais ça beau de raconter une histoire d'amour impossible quand l'amour n'est plus possible.»

«Sandrine et Vincent forment un très beau couple à l'écran, estime le réalisateur. Ils possèdent des énergies très complémentaires. Cette attirance est très perceptible. Bon, après, il y a la vie. Ce sont deux choses bien différentes. Leur histoire personnelle n'a rien à voir avec celle du film, mais elle l'a quand même nourrie. Je l'ai très bien ressenti, notamment à cause de leur crainte de revivre certains sentiments, ou de se réengager dans des zones où existent à la fois le déni et l'attirance. Cette peur s'est juxtaposée à celle qu'éprouvent leurs personnages. Et donne à cette histoire une grande force émotionnelle.»

Un film soigné

Présenté l'automne dernier au Festival Cinémania, Mademoiselle Chambon est un film dont l'approche, très retenue, tranche nettement sur celle, plus frontale, privilégiée habituellement dans le cinéma contemporain.

«C'est un luxe très rare, fait remarquer Sandrine Kiberlain. Stéphane nous donne beaucoup de temps pour jouer les choses. Il soigne aussi beaucoup l'esthétisme de son film sans jamais tomber dans les effets de style. Et puis, il aime faire des plans séquence. Pour un acteur, c'est jubilatoire de savoir qu'une scène va exister dans sa continuité, sans plans de coupe.»

L'actrice, nommée pour un César grâce à ce rôle, est heureuse de l'expérience. D'autant que Stéphane Brizé est l'un des rares cinéastes - sinon le seul - à qui elle a manifesté son désir de travailler un jour sous sa direction.

«Je séjournais en Tunisie et je suis tombée par hasard sur Le bleu des villes à la télé, explique-t-elle. Ce fut pour moi une révélation. Par définition, un acteur est tributaire du désir des cinéastes, mais là, c'était plus fort que moi. Il fallait que Stéphane le sache. Bien sûr, ce ne fut pas facile au début avec Mademoiselle Chambon, étant donné les circonstances. Mais Vincent et moi sommes ravis d'être parvenus à surmonter cette difficulté. Depuis la naissance de notre fille, je n'envisage de jouer dans un film que quand cela m'est nécessaire. Il faut que ce soit organique, que ce soit un truc qui enrichit ma vie. Mademoiselle Chambon entre clairement dans cette catégorie.»

Mademoiselle Chambon prend l'affiche le 11 juin. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.