Depuis quelques mois, la question du financement, ou plutôt du sous-financement, inquiète le milieu du cinéma indépendant et d’auteur. Avec des budgets anémiques, de petites boîtes réussissent à proposer de très bons films, comme Bas! Au-delà du Red Light, dont il est question dans cette page. La maison de distribution «Les films du 3 mars» s’inscrit dans cette catégorie. Rencontre avec sa directrice générale Anne Paré et son président du conseil d’administration, Denis McCready.

Q: Quelle est la situation du film indépendant et du film d’auteur au Québec?

Anne Paré : «Je sens une forte mobilisation des cinéastes et des intervenants du milieu afin de mettre une fois de plus de l’avant ce cinéma. On sent une urgence de le faire, encore aujourd’hui. Le côté positif est que les gens se mobilisent. Par contre, au niveau de nos gouvernements, les investissements, comme dans le documentaire, sont de plus en plus critiques et pas très rayonnants.

Q Pourquoi dites-vous «une fois de plus»?

Denis McCready : «Parce que c’est cyclique. J’ai commencé à étudier en cinéma en 1989. Depuis, une soudaine mobilisation est survenue deux ou trois fois parce qu’il y avait une crise dans le cinéma d’auteur.»

Anne Paré : «Alors qu’au contraire, il y a des exemples étonnants comme Xavier Dolan qui prouvent que les spectateurs ont envie de voir ce type de cinéma, qu’il y a de la place pour l’émergence de talent et d’idées.»

Q. Les films du 3 mars (F3M) sont nés il y a maintenant cinq ans. Qu’est-ce qui est à l’origine de la création de cette entreprise?

Anne Paré : «Nous sommes nés à la suite de la fermeture (faillite) du premier distributeur québécois de films indépendants, Cinéma libre, qui avait 30 ans d’expérience. En 2005, de nombreux cinéastes indépendants se sont dit que cette fermeture n’avait pas de sens. Ils ont voulu fonder un nouvel organisme qui est né le 3 mars 2005. Nous avons récupéré une partie du catalogue de Cinéma libre. Mais ça prenait surtout un distributeur capable d’accompagner les cinéastes qui faisaient des films plus indépendants, des documentaires, des courts métrages, du film expérimental, du cinéma d’animation. Nous faisons tous ces genres confondus.»

Denis McCready : «Durant longtemps dans les institutions, il y a eu de l’argent pour financer la production. Mais j’ai noté dans le passé que le soutien à la distribution n’était pas terrible et c’est encore le cas aujourd’hui.»

Anne Paré :« Il y a aussi un gros problème d’accessibilité aux salles et aux nombre de salles disponibles pour ce cinéma qui en est un de qualité. Nos institutions financent la production de films. Mais il faudrait qu’elles financent aussi son accessibilité. C’est un paradoxe.»

Q. Quel bilan faites-vous de votre organisme?

Anne Paré : «Au départ, ça été difficile. Mais cette année, on peut dire que ça va mieux.»

Denis McCready : «Nous avons eu des années de précarité. Nous nous sommes parfois demandé si nous serions encore là dans six mois. Mais là, nous terminons l’année de façon très positive au niveau financier et aussi au niveau des films que nous avons soutenus.»

Anne Paré : «Nous avons réalisé un surplus qui a épongé notre petite dette des quatre dernières années.»

Q. Quels sont vos meilleurs coups?

Anne Paré : «La classe de Madame Lise (Sylvie Groulx) qui a été notre tout premier film et qui a remporté un Jutra a été extrêmement important dans l’histoire des F3M. C’est le film qui a le plus marché à tous les niveaux. Aussi, De l’autre côté du pays (Catherine Hébert) et La belle visite (Jean-François Caissy) en raison de son rayonnement dans les festivals à l’international.

Q. Vous sentez-vous quand même appuyé?

Anne Paré : «Je me sens appuyée par les documentaristes établis, les producteurs de documentaires, par les autres distributeurs indépendants (au sein du Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec), par les membres de notre organisme, par le collectif À tout prendre (groupe favorable à la sauvegarde du cinéma indépendant), par la SODEC pour la mise en marché et les conseils des arts (Canada, Québec, Montréal) et le cinéma Parallèle. Sans eux, on n’existerait pas.»

Q. Votre organisme indique que plusieurs producteurs reconnus lèguent à F3M des œuvres du patrimoine. Qu’est-ce que cela signifie?

Anne Paré : «Des cinéastes ont entre leurs mains des bobines, des films sans distributeur. Ils nous demandent si nous pourrions remettre ces œuvres en circulation, les numériser et les remettre dans un format permettant leur diffusion. L’exemple, c’est Paul Tana avec La Sarrasine, Les Grands enfants, Caffe Italia et La Déroute que nous essayons de mettre en coffret. Nous avons aussi réuni toutes les premières œuvres documentaires de Bernard Émond.

Denis McReady : «Il y a beaucoup de films québécois qui ne sont plus accessibles. Heureusement, il y a l’ONF qui a son site internet. Ce qu’ils ont fait est génial. Mais il y a des œuvres qui sont orphelines, qui dorment sur des tablettes et c’est dommage.»

Q. Quels sont vos plus importants lieux de distribution?

Anne Paré : «Mon marché le plus lucratif, c’est la salle, le DVD institutionnel (par exemple, les bibliothèques qui achètent le film pour leurs usagers) et la télé. Mais la télé achète de moins en moins de documentaires. Elle fait de moins en moins d’acquisitions. Elles vont plutôt investir dans la production d’un film. Elles aident financièrement les producteurs et donc, l’œuvre leur appartient déjà un peu. À ce moment-là, je ne peux pas aller leur vendre un film dans lequel elles ont déjà investi.»

Denis McCready : «L’acquisition est devenue très rare. De plus, les diffuseurs donnent une plus grosse enveloppe en s’impliquant dans la production. Mais en contrepartie, ils font partie du processus éditorial du film.»

***

LES FILMS DU 3 MARS

Type d’entreprise : organisme sans but lucratif
Budget annuel : environ 110 000 $
Financement public : entre 75 000 $ et 80 000 $
Nombre d’employés : 2
Nombre de projets soumis annuellement : environ 60
Sorties en salle annuelles : 5