La polémique sur l’absence de minorités visibles au cinéma québécois devrait être temporairement mise de côté cet après-midi à Fantasia, avec la projection du film Sortie 67, qui donne la vedette à une majorité d’acteurs noirs.


Tourné à Montréal-Nord, Hochelaga-Maisonneuve et dans le quartier Saint-Michel, ce long métrage de Jephté Bastien est présenté comme le tout premier film de fiction québécois sur les gangs de rue. On y raconte l’histoire d’un jeune mulâtre en perdition, qui sombre dans le crime après avoir vu sa mère être tuée par son père.


Ce sujet difficile, Bastien en a eu l’idée après que son neveu eut été retrouvé dans une ruelle avec une balle dans la tête. Pour lui, ce crime resté impuni fut un véritable déclic.
«Je ne savais pas quoi faire avec ma peine, explique le réalisateur d’origine haïtienne. Soit j’enquêtais moi-même pour retrouver celui qui avait fait ça, soit je l’exorcisais par le cinéma. Quand j’ai compris que la première option ne m’amènerait qu’une satisfaction immédiate, j’ai opté pour la seconde.»


Bastien ne regrette pas son choix. Écrire et réaliser Sortie 67 lui a permis de canaliser sa colère, mais aussi de prendre pleine conscience des problèmes qui affligent Montréal-Nord. N’ayant lui-même jamais frayé avec cette faune, il a fait ses recherches sur le terrain et rencontré toutes sortes de gens – délinquants, victimes, habitants du quartier – qui lui ont apporté un nouvel éclairage sur le milieu des gangs.


Avec un peu de chance, il espère que son film provoquera la discussion et rouvrira le débat. «C’est absurde, la façon dont les médias déshumanisent ces jeunes, lance le réalisateur. On réduit trop souvent cette violence à une histoire de culture et de race. Mais c’est une erreur. Catégoriser la violence, c’est une vision qui vient de l’ignorance.»

Ouvrir une porte


On sait peu de choses de ce long métrage tourné avec l’aide de Téléfilm et de la SODEC, qui ne sortira officiellement qu’à l’automne et dont on ne verra qu’une copie de travail. Mais on raconte entre les branches que la distribution est phénoménale. Tous les acteurs sont de purs inconnus recrutés dans les écoles de théâtre, qui gagnent actuellement leur vie en travaillant dans le télémarketing.


Si certains se plaignent du manque de minorités visibles au grand écran, ils en auront pour leur argent. Construit sur des rythmes hip-hop (la musique fut en grande partie composée par Bastien lui-même), Sortie 67 est un film «black» mur à mur, qui confirme l’émergence d’une nouvelle génération de comédiens d’origine haïtienne. Sans trop vouloir se prononcer sur la question, le cinéaste croit que son film ouvre une porte: «Après cela, on ne pourra pas dire qu’il n’y a pas de talent dans la communauté», lance-t-il.


Arrivé d’Haïti au début des années 80, Jephté Bastien est lui-même peu connu au Québec. Il a pourtant derrière lui un parcours bien rempli, qui l’a mené de Montréal à Los Angeles, à Miami, en passant par les écoles de cinéma new-yorkaises et le milieu de la télévision en France.


Au début des années 90, il a lancé deux albums de pop et de musique kompa qui n’ont pas vraiment marché. Devenu monteur et réalisateur, il a notamment participé à un clip de Garou (Dieu que le monde est injuste), avant de filer à Paris où il a fait alterner projets documentaires et alimentaires.


Revenu au Québec en 2004, il ose croire que Sortie 67 lui permettra d’imposer sa signature. «C’est un milieu où il est très difficile de faire son chemin, et pas juste pour les "blacks", conclut-il. Mais ce projet est vraiment sorti de mes tripes. C’est un film sans compromis, qui montre ce que je peux vraiment faire comme artiste.»


Sortie 67, de Jephté Bastien. Aujourd’hui, 13 h,
Théâtre J.A. De Sève
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