Grand sujet d'actualité en Europe, l'immigration clandestine est au coeur d'Illégal, plus récent film du cinéaste belge Olivier Masset-Depasse. La Presse a rencontré ce dernier ainsi que son actrice fétiche, Anne Coessens.

Olivier Masset-Depasse se souvient du jour où, en visite dans un centre fermé pour immigrants illégaux, il est entré dans le bureau de la directrice.

«Elle était au téléphone avec un immigrant polonais expulsé deux semaines plus tôt, raconte-t-il. L'homme avait oublié son téléphone portable. La directrice lui a demandé son adresse pour le lui faire parvenir, mais ce dernier lui a répondu que ce n'était pas nécessaire. Il allait passer le chercher!»

Pour le jeune cinéaste belge, les centres fermés, des endroits sordides où sont parqués les immigrants illégaux dans l'attente d'une probable expulsion, ne fonctionnent pas. Au contraire. Ils aliènent, ils tuent à petit feu, ils cultivent le désespoir. Et ceux qui sont expulsés du pays trouvent les moyens de revenir.

C'est ce que Masset-Depasse a voulu démontrer dans Illégal, film coup-de-poing qui raconte l'histoire de Tania (Anne Coessens), Russe sans papiers vivant en Belgique avec son fils de 14 ans.

Un jour, Masset-Depasse a voulu savoir ce qui se passait derrière les portes de ces centres. Ce qu'il a vu l'a dégoûté.

«Du côté des femmes et des enfants, on croise des gosses en pyjama à 4 h de l'après-midi, raconte-t-il. D'autres cherchent des jouets sans arrêt. Leurs mères sont un peu lobotomisées. On sent un désoeuvrement total, avec un côté douceâtre, comme une longue noyade. Alors que chez les hommes, c'est plus électrique.»

Anne Coessens a ressenti la même chose. «Je ne savais pas que c'étaient de vraies prisons, carcérales, où l'on enferme des gens qui ne sont pas des criminels ou même des enfants, a-t-elle confié en entrevue lors du Festival du film francophone de Namur, où elle a remporté le prix de la meilleure interprétation féminine. Ce qui m'a choqué, c'est qu'il n'y a jamais rien, rien, rien à faire. Et leur séjour peut durer jusqu'à huit mois!»

Complicité

Plusieurs raisons expliquent que les centres fermés ne fonctionnent pas, estime Masset-Depasse. À commencer par le fait que l'immigration illégale est en partie encouragée par des patrons qui embauchent les sans-papiers au noir et à bas salaires.

Ainsi, dans Illégal, Tania a un travail, quelques amis, s'assure que son fils va à l'école. Mais elle vit constamment dans la peur d'être arrêtée. Un jour, lorsqu'elle baisse sa garde, elle est coincée à la sortie d'un bus. Son fils réussit à s'échapper et Tania, même de l'intérieur du centre, fait tout en son pouvoir pour le tenir à l'écart.

Pendant des semaines, elle refuse de s'identifier. Et personne d'autre qu'elle peut le faire, car elle a sciemment brûlé ses empreintes digitales. Finalement, elle donne le nom d'une amie... tchétchène. Un phénomène courant dans les vrais centres.

«La prison des gens n'est pas que physique, mais intérieure, dit le réalisateur. Tania ne peut dire son vrai nom, de peur de représailles.» «Il y a un hit-parade de l'identité, enchaîne Anne Coessens, qui tourne pour une cinquième fois avec Masset-Depasse. En fonction de l'actualité, c'est bien de dire que l'on vient de tel ou tel pays, car c'est plus facile d'obtenir ses papiers de réfugiés politiques.»

L'actrice a adoré ce rôle «très riche» décliné sur fond de critique sociale. «À la lecture du scénario, ce que j'ai le plus aimé est ce combat de cette mère pour son fils. C'est vraiment quelque chose d'universel et que je peux ressentir dans ma chair», dit-elle, enceinte de son deuxième garçon au moment de l'entrevue.

Oliver Masset-Depasse estime aussi qu'un des problèmes de l'immigration illégale se situe dans les ambassades, investies de mafieux qui font chanter les diplomates. Ce sera, croit-il, le sujet de son prochain film. Car s'il est entré dans Illégal avec une certaine colère, celle-ci n'était pas apaisée à la sortie.

___________________________________________________________________
Demain à 12 h 15 et dimanche à 18 h au Cinéma Impérial.