«Si tu marches avec moé, t'es mon ami p'is j't'aime...» Pierre Falardeau avait cette formule pour illustrer comment il séparait les gens en deux: ceux qu'il aimait et les autres. Pas beaucoup de monde dans la zone grise, on s'en doute bien.

Germán Gutiérrez connaissait Pierre Falardeau depuis 25 ans quand, au début de 2009, il l'a convaincu de participer à un documentaire sur sa vie et son oeuvre. Falardeau se savait déjà condamné par le cancer et mourra en septembre de la même année. À 62 ans, sans avoir vu naître ce pays auquel il a consacré toute sa vie adulte.

Gutiérrez a filmé son sujet dans ses dernières sorties publiques dont cette ultime manif indépendantiste - place du Canada - au cours de laquelle Jérémie Falardeau a lu Lettre à mon ti-cul que lui avait écrite son père au soir du référendum de 1995: «Il y a un prix pour la victoire. Il y a un prix pour la défaite. Le moment venu, chacun devra rendre des comptes.» C'est l'une des scènes les plus vibrantes du documentaire Pierre Falardeau, à l'affiche du cinéma Beaubien depuis mercredi.

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«Nous n'étions pas des intimes, mais comme nos enfants et les siens fréquentaient les mêmes écoles, il nous arrivait de nous rencontrer», explique Carmen Garcia, scénariste, productrice et coréalisatrice du docu avec son conjoint Germán Gutiérrez. Manon Leriche, la conjointe de Pierre Falardeau, apparaît au générique, elle, comme «consultante à la recherche». «Manon nous a donné accès aux archives mais n'est intervenue d'aucune façon dans le film. Même que, ne sachant pas où on s'en allait avec ça, elle a dû entretenir une certaine appréhension», dira encore Carmen Garcia, rencontrée lundi avec Germán Gutiérrez dans les bureaux rosemontois d'Argus Films.

Le documentaire de 90 minutes rassemble des images de quatre sources principales. D'abord les archives personnelles de Pierre Falardeau, le montrant ici en famille, là avec Julien Poulin, son complice de toujours. Ensuite des extraits des films de Falardeau, qui détestait le vocable de cinéaste engagé: «Personne ne m'a engagé pour faire ça...» À côté des insondables histoires d'Elvis Gratton - qui ont beaucoup fait rire Céline Dion -, des extraits de Le Magra, Le steak, Pea Soup. Le temps des bouffons, son pamphlet le plus violent, Octobre, 15 février 1839 et Le party, où les performances chantées de Lou Babin (Le coeur est un oiseau) et de Richard Desjardins (Le Screw) restent parmi les moments forts du cinéma de Falardeau.

Troisième source, probablement la plus connue: Pierre Falardeau le «personnage» - il se déchaîne devant Paul Arcand qui utilise le mot personnage - qui va faire le bouffon à la télé pour 187$. Sa blonde le lui reprochera d'ailleurs... Et Mr. Hyde: Falardeau jouant les dragons charmeurs devant Marie-Claude Lavallée, Denise Bombardier ou Julie Snyder, remerciée dans le générique tout comme son conjoint Pierre Karl Péladeau. «Ils admiraient Pierre Falardeau et ils ont contribué à débloquer le financement du film», dira Carmen Garcia, qui doit réécrire son scénario pour une version de 42 minutes qui sera diffusée à TVA au printemps.

La dernière composante, originale celle-là, est faite d'entrevues menées avec des proches après la mort de Pierre Falardeau: Manon Leriche, la productrice Bernadette Payeur évoquant le désespoir des refus répétés, à Téléfilm ou ailleurs; Luc Picard, l'acteur fétiche de Falardeau pour les rôles hard. Enfin, et surtout, Francis Simard, l'ex-felquiste qui est à l'origine du Party - Simard a passé 11 ans «en dedans» - et d'Octobre qu'il n'a jamais vu mais que, répète-t-il, il ne reniera «jamais».

Germán Gutiérrez, cinéaste engagé lui-même, a fait des films pas mal plus dangereux que Falardeau, en Colombie notamment, son pays d'origine, où il a tourné L'affaire Coca-Cola  ou Sociétés sous influence sur les cartels de la drogue. Que retient-il de Pierre Falardeau? «La constance de son engagement pour la liberté, pour le droit de vivre et de se développer dans sa propre langue. À cet égard, il était un personnage universel, d'un autre ordre mais de la même manière que Thomas Paine ou Bolivar.»

Pour Carmen Garcia, le Falardeau «monothématique» - ses adversaires diraient monomaniaque - était meilleur écrivain que tribun, mais le sujet ne changeait pas: «En 40 ans de vie publique, il aura été l'homme d'un seul combat. À travers lui, nous avons voulu montrer l'évolution du discours indépendantiste québécois. Après des séances-tests avec des fédéralistes qui nous parlent encore, je crois que nous avons réussi.»

Pierre Falardeau n'aura jamais été si proche de l'unanimité...