Dans le coin gauche, une maison qui produit assez d'électricité pour recharger une voiture. Une autre qui se chauffe toute seule. Un bidule qui fait bouillir l'eau par moins 20 degrés. Et dans le coin droit, un projet de quatre barrages qui va coûter si cher que les tarifs d'électricité vont augmenter.

Les personnages du documentaire Chercher le courant sont ces technologies nouvelles et intrigantes qui luttent avec les vieilles façons de faire. Le courant dont parle le titre, c'est d'abord celui la rivière Romaine, où Hydro-Québec a lancé un chantier hydroélectrique de 8 milliards au printemps 2009.

Nicolas Boisclair et Alexis de Gheldere, coréalisateurs du film, ont pagayé sur la Romaine de sa source au Labrador jusqu'à son embouchure, près de Havre-Saint-Pierre. «Notre but était de documenter la rivière, d'amener les gens dans le canot», dit M. de Gheldere.

Mais quand ils mettent leur embarcation à l'eau à l'été 2008, le duo n'a encore aucun financement, explique le producteur Denis McReady, de la maison Rapide Blanc.

«L'histoire de ce film, c'est: «On essaie quelque chose, et si ça marche pas, on continue quand même»», dit-il.

«En 2007, le concept était une série d'émissions sur les énergies vertes. Mais les gens n'y croyaient pas. Puis en 2008, c'était l'échéance, le dernier été avant le début du chantier. L'expédition a été financée par Nicolas et Alexis, pour environ 20 000$, y compris la caméra.»

Prix

En 2010, le montage n'est pas commencé quand le film est accepté pour la compétition aux Rencontres internationales du documentaire du Montréal, où il gagne le Prix du public et une Mention spéciale du jury au Prix ÉcoCaméra.

L'expédition sur la Romaine a donné lieu à une rencontre déterminante, celle de Roy Dupuis, narrateur du film. «Je l'ai fait par intérêt personnel, ça s'inscrit dans une démarche qui date de sept ou huit ans», dit le comédien, qui préside la Fondation Rivières et qui a assisté à presque tous les reportages sur le terrain.

Les images spectaculaires de la rivière Romaine servent de décor au film. Mais on revient régulièrement dans le sud de la province pour voir comment l'énergie de la Romaine pourrait être générée ou économisée autrement, ici même au Québec, souvent pour moins cher.

Par manque de budget, Boisclair et de Gheldere ont dû renoncer à leur projet initial, qui était de se rendre en Europe, où les énergies vertes sont plus répandues.

Un mal pour un bien. La démonstration en sort encore plus forte, le retard du Québec apparaît encore plus patent.

Énergie verte

On découvre donc cette maison conçue pour maximiser la chaleur du soleil et qui coûte quelques dollars par mois à chauffer. Cette autre maison, elle aussi très efficace, mais en plus équipée de panneaux solaires et qui produiront assez d'électricité pour charger une auto électrique. Tout ça grâce au fait que le Québec est aussi ensoleillé que Barcelone.

On voit ce tube de chauffe-eau solaire atteindre en quelques minutes la température suffisante pour vaporiser instantanément l'eau d'un chiffon. On visite une ferme laitière qui récupère du méthane dans le lisier. On arpente un champ de saules cultivés pour faire des granules pour le chauffage. Et ainsi de suite pour l'énergie éolienne, la géothermie, etc. Et la plupart des données proviennent de documents officiels, tant d'Hydro-Québec que d'autres sources. Cela peut compenser pour le fait qu'Hydro-Québec a refusé d'être interviewé pour le film.

C'est le fruit de la recherche de Nicolas Boisclair et de deux stagiaires. «Toutes les affirmations du film sont référencées, dit-il. On a imprimé les documents au cas où ils disparaîtraient de l'internet.»

Échec commercial?

C'est le témoignage de Jean-Thomas Bernard, professeur à l'Université Laval, qui enfonce le clou du film. Cet économiste est l'un des experts les plus respectés en matière d'énergie au Québec. Et pour M. Bernard, la Romaine est commercialement vouée à l'échec.

En effet, avec 8 milliards pour les barrages, sans compter 1,5 milliard pour la ligne de haute tension, l'électricité produite sera trop chère pour être exportée aux États-Unis. En fait, le projet Romaine coûtera si cher qu'Hydro-Québec devra augmenter ses tarifs pour maintenir ses profits. Voilà déboulonné le mythe fondateur du Québec moderne. On ne peut plus s'enrichir collectivement en construisant des barrages. Les projets les moins chers ont tous été faits.

Pourquoi, donc, construire des barrages sur la Romaine? Pourquoi noyer 279 kilomètres carrés de nature, avec toutes les conséquences néfastes sur l'écosystème? La réponse n'est pas dans le film.

«Ce n'est pas à nous de répondre, dit Roy Dupuis. C'est à quelqu'un d'autre de faire un film sur les lobbys de la construction, son influence sur le gouvernement. Mais ça fait juste renforcer le besoin d'une enquête sur la construction.»

Chercher le courant prend l'affiche à Montréal au Cinéma ONF du vendredi 28 janvier au dimanche 6 février et à Québec au cinéma Cartier à compter du vendredi 28 janvier. Les réalisateurs comptent faire une tournée du Québec au cours de la prochaine année.