Le réalisateur français Bertrand Tavernier est arrivé hier soir à Montréal afin de participer au 35e Festival des films du monde (FFM) qui s'ouvre aujourd'hui avec Coteau rouge, d'André Forcier. Dans le cadre de rencontres avec le public, il y présentera six coups de coeur cinématographiques. Des choix qui reflètent sa préoccupation pour la préservation du patrimoine cinématographique.

L'an dernier, il était de passage au FFM pour présenter ses deux plus récents films, In the Electric Mist et La princesse de Montpensier. De retour cette année, il présentera les films de collègues. Avec un mélange de passion, de joie et de modestie.

Car présenter des coups de coeur, comme le lui ont demandé les dirigeants du FFM, est un nécessaire exercice d'humilité, estime le cinéaste français. «Les coups de coeur, c'est une bonne façon de lutter contre son ego, observe-t-il. C'est très salutaire d'admirer le travail des autres. Des réalisateurs français l'ont fait, tels François Truffaut et Olivier Assayas. Chez les Américains, c'est plus rare. Seul Scorsese a réalisé un documentaire sur le cinéma italien (Mon voyage en Italie).»

La sélection de M. Tavernier comprend six titres, trois films français (Le mariage de chiffon, Douce et Le sucre) et trois films noirs américains (Pitfall, Cry Danger et The Prowler). On constate par ailleurs que, des six titres proposés, cinq ont plus de 50 ans. Cela témoigne-t-il d'une certaine nostalgie?

Pas du tout, répond le réalisateur d'une trentaine de films, dont Coup de torchon, La vie et rien d'autre et Daddy nostalgie. «À travers la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), j'ai aussi participé à la défense de films qui se font maintenant», lance-t-il.

Prenant l'exemple de la littérature, il ajoute: «Si on aime les oeuvres de Balzac, ça ne veut pas dire que l'on méprise les oeuvres littéraires contemporaines.»

Cela dit, il est important, tant pour le cinéaste que pour le cinéphile, de jeter un coup d'oeil par-dessus son épaule. «Il est très bon, très sain de revisiter le passé, dit le réalisateur. Il y a des enseignements à y prendre. Et j'aime faire découvrir des films qui ne figurent pas nécessairement dans l'histoire du cinéma.»

Se faisant le défenseur du patrimoine cinématographique, il trouve nécessaire de «sauver des films abandonnés par les studios». Et le voilà à donner un nouveau coup de chapeau à Scorsese, ainsi qu'à Eddy Muller, fondateur de la société américaine Film Noir Foundation, qui ont tous deux poussé la roue pour la préservation du patrimoine cinématographique américain.

Sous la pellicule

C'est lorsqu'il était jeune réalisateur et qu'il cherchait à travailler avec des scénaristes «plus vieux que (lui)» que Bertrand Tavernier est tombé, en visionnant des dizaines de films, sur les oeuvres Le mariage de chiffon et Douce, deux films de Claude Autant-Lara dont les scénarios étaient signés Jean Aurenche, Marcel Blondeau et Pierre Bost.

Coup de coeur total. Non seulement pour la qualité des films, mais aussi pour ce que Bertrand Tavernier a discerné sous la pellicule. À savoir des descriptions sociales fortes, des critiques de la bourgeoisie, voire des actes de résistance.

«Le film Douce est sorti en 1943 sous Pétain, rappelle-t-il. Il y avait là-dedans des éléments de féminisme, de lutte des classes. À la toute fin, un des personnages lance: «Je vous souhaite impatience et révolte.» D'utiliser de tels mots, alors que la France était sous le régime de Vichy, était un acte courageux.»

Le constat est semblable avec les films américains sélectionnés, tous trois tournés à l'aube des plus virulentes années du maccarthysme. «Les films noirs américains ont permis de parler de la société américaine, du rêve américain, en explorant des thèmes très forts tels la corruption, la sexualité, les écarts de la police, etc.»

M. Tavernier rappelle que plusieurs réalisateurs de films noirs appartenaient à la gauche. «Leurs oeuvres constituaient une bonne manière de faire passer des messages en contrebande», s'amuse-t-il.

Quant au film Le sucre, de Jacques Rouffio, oeuvre la plus contemporaine parmi ses choix (elle date de 1978), son propos, la spéculation, est très... XXIe siècle. «Une oeuvre prémonitoire. Un film qui a 30 ans d'avance, assure M. Tavernier. On y parle de la folie des banques, de la spéculation, des marchés non régulés. En 2008, après la crise des subprimes, les États-Unis sont venus au secours des banques avec des fonds publics. Qu'est-ce qui a changé? Rien. Le film Le sucre parle de tout cela, mais de manière drôle, cocasse, balzacienne. Quant aux acteurs - Depardieu, Piccoli, Jean Carmet -, ils sont fantastiques.»

Bertrand Tavernier sera présent samedi, dimanche et lundi prochains au Cinéma ONF pour la présentation des films qu'il a choisis. Consultez la grille horaire du FFM pour les détails. On peut suivre le blogue du réalisateur à l'adresse : tavernier.blog.sacd.fr