Amorcé le 23 octobre, le tournage d'Inch'Allah d'Anaïs Barbeau-Lavalette s'est terminé hier. Après plusieurs semaines en Jordanie, celui-ci s'est conclu à Jérusalem, Ramallah et Tel-Aviv. À Amman, La Presse a passé trois jours sur le plateau, à côtoyer comédiens et techniciens. Compte rendu.

La situation est tendue au check point Qalandiya séparant Ramallah de Jérusalem-Est. Un attentat vient de se produire du côté israélien. Les soldats de Tsahal sont sur les dents. Des dizaines de Palestiniens, hommes, femmes, bébés, vieillards, se bousculent, se chamaillent et revendiquent le droit de traverser en Israël.

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Les contrôles sont resserrés. Le temps de passage est ralenti. L'impatience monte de deux crans. Du côté de Ramallah, le brouhaha est monstrueux avec son bouchon de vieux véhicules, ses étals de marchants au milieu desquels se meuvent d'innombrables Palestiniens. Un enfant s'époumone en essayant de vendre des babioles colorées.

Du côté de Jérusalem, tout est calme. Seules quelques personnes s'apprêtent à traverser du côté de Ramallah. Dont Chloé (Évelyne Brochu), obstétricienne québécoise vivant à Jérusalem et travaillant dans une clinique de fortune. Au passage, elle salue Ava (Sivan Levy), jeune militaire israélienne, amie et voisine de palier.

Le point de contrôleQalandiya existe pour vrai. Mais pour le tournage du film Inch'Allah d'Anaïs Barbeau-Lavalette, dont la scène ci-haut, l'équipe de production a recréé un décor dans une base militaire située en périphérie d'Amman, là où le désert a pris le pas sur la ville. Un bâtiment trapu sert de centre administratif. Tout autour, la directrice artistique André-Line Beauparlant et son équipe ont créé une ambiance propre à ce lieu de tension avec ses cabanes en bois, guérites, blocs de béton gigantesques, ânes bourrus, un drapeau israélien (qui agace les figurants). Et un mur de six mètres séparant les deux peuples (voir autre texte).

Sur le plateau, on s'affaire depuis la fin de la nuit. En cette période de l'année, la lumière fuit rapidement. Il faut capter les scènes vite et bien. À l'ombre, le froid est mordant et passe malgré les nombreuses couches de vêtements que chacun porte. Le lendemain, pour une scène de nuit, de nombreux artisans portent tuques et gants. Les figurants (150 le premier jour!), des habitants d'Amman, attendent patiemment qu'on les appelle. Ils portent des couvertures de laine. Plusieurs sont pieds nus dans leurs sandales.

Sur le plateau comme dans le film, on échange en quatre langues: français, anglais, hébreu, arabe.

Concept palpable

À travers Chloé, Inch'Allah raconte l'histoire d'un triangle d'amitié incluant Ava et Rand (Sabrina Ouazani), une Palestinienne enceinte et désoeuvrée vivant de la vente de matériaux qu'elle récupère dans un dépotoir de Ramallah en bordure d'une colonie juive. Avec ce film, proche de situations qu'elle a vécues lors de séjours dans la région, Anaïs Barbeau-Lavalette a voulu montrer un autre visage de la guerre.

«Ici, Chloé rencontre la guerre dans toute son... humanité, dit-elle. La guerre dans son quotidien et non son côté effrayant. Chez nous, on reçoit toujours la guerre de la même façon, avec les mêmes mots, les mêmes images. J'ai voulu la rendre plus palpable, l'inscrire dans nos sens.»

Deux ans après le tournage d'Incendies de Denis Villeneuve, les producteurs Kim McCraw et Luc Déry, de micro_scope, se sont donc replongés dans l'aventure d'un tournage en Jordanie, pays stable, certes, mais où l'industrie cinématographique est pratiquement inexistante. Ce qui rend tous les aspects du tournage plus complexe.

Ils ont hésité lorsque Barbeau-Lavalette les a sollicités, mais ils ont craqué pour le scénario et l'énergie de la cinéaste. «Dans cette histoire proche d'Anaïs, on a le sentiment constant d'être dans la vérité, dit Kim McCraw. Sans prendre position, on va voir la souffrance des Palestiniens qui sont à la recherche de leur pays, de leur dignité.»

En plus de la base militaire, l'équipe a tourné dans plusieurs rues d'Amman et deux camps de réfugiés. La majorité de la trentaine de Québécois sur place était aussi du projet Incendies. Ils tenaient à revenir. Les producteurs ont embauché plusieurs dizaines de Jordaniens pour l'équipe technique. La fin du tournage arrivant, toutes les occasions étaient bonnes pour s'étreindre sur le plateau où régnait un mélange d'euphorie et de tristesse.

«Nous avons embauché des techniciens, des figurants et des stagiaires, souligne Kim McCraw. Ça prend toute une préparation pour ainsi tourner à l'étranger. Il faut marier les cultures de travail. Mais au bout du compte, c'est enrichissant pour tout le monde. Et j'aime cette idée que nous laissions quelque chose en partant. On a formé des gens d'ici à travailler sur le son, la caméra, etc.»

Inch'Allah sera en salle en 2012.

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Faux café israélien; vraie commotion
Officiellement, la Jordanie est un pays en paix avec Israël. Mais dans la population, cette définition est plus complexe. Les producteurs d’Inch’Allah en ont eu une vive preuve en essayant de recréer une rue de Jérusalem en plein... Amman! «La scène se passait dans un café de Jérusalem, raconte la productrice Kim McCraw. Pour cela, il a fallu réécrire toutes sortes de choses en hébreu. Des comédiens et figurants incarnaient des soldats israéliens et même des juifs orthodoxes. Certains passants ont trouvé ça dur.» La commotion a gagné les réseaux sociaux. Faisant ce constat, on a ouvert le plateau à des médias de la capitale jordanienne. Le 5 décembre, le Jordan Times a consacré un long article au tournage. On y citait entre autres les producteurs Kim McCraw et Luc Déry en disant que ces derniers espéraient que le film aiderait les Nord-Américains à mieux comprendre le Moyen-Orient.

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Les frais de ce reportage ont été payés par Les films Christal et Séville/eOne.