Finaliste aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, le plus récent film de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland évoque une histoire de survie pendant la Seconde Guerre mondiale.

L'Holocauste, l'un des épisodes les plus sombres de l'histoire de l'humanité, a déjà inspiré bon nombre de productions cinématographiques. À telle enseigne que, 70 ans plus tard, nombreux sont ceux qui ont l'impression que le tour de la question a été fait. Et qui se demandent ce qu'on peut bien ajouter aujourd'hui.

Jointe en République tchèque, où elle s'apprête à amorcer, dans moins de deux semaines, le tournage d'une minisérie évoquant la période de «normalisation» qui a suivi le Printemps de Prague de 1968, la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland attendait évidemment la question de pied ferme.

«Je suis toujours étonnée que cette question ne soit jamais posée aux réalisateurs spécialisés dans les comédies romantiques, fait-elle remarquer. Or, s'il y a un genre surexploité, c'est bien celui-là! Oui, c'est vrai, il y a eu beaucoup de films, de documents, d'oeuvres de toutes sortes sur la Shoah. J'ajouterai toutefois - mais peut-être est-ce un peu arrogant de ma part de l'affirmer - qu'il y en a quand même très peu qui se démarquent grâce à leur force artistique ou grâce à leur force de vérité.»

Une histoire vraie

Sous terre, aussi distribué sous le titre In Darkness, relate l'histoire véridique de Leopold Socha, un Polonais qui n'hésitait pas à exploiter les Juifs dans le ghetto de Lvov, ville alors située en territoire polonais (aujourd'hui en Ukraine). Aux plus sombres heures de l'Histoire, ce voleur à la petite semaine affichera néanmoins une nature héroïque en protégeant des nazis ceux-là mêmes qu'il dérobait la veille. Il aidera ainsi un groupe de Juifs à trouver refuge dans les égouts de la ville. Ces gens y survivront pendant de longs mois. Dans des conditions inimaginables.

«Évidemment, le sujet m'intéresse toujours, explique la réalisatrice. J'ai d'ailleurs déjà consacré deux films à cette période: Amère récolte et Europa Europa. J'ai aussi écrit le scénario de Korczak, qu'a réalisé Andrzej Wajda. C'est une sensibilité personnelle. La famille entière de mon père a péri dans le ghetto de Varsovie. Ma mère, d'origine polonaise, a de son côté obtenu le titre de Juste pour avoir sauvé une jeune fille juive au péril de sa vie. C'est au cours de cette période que nous nous sommes aperçus à quel point il était facile pour l'humanité de franchir des limites qu'il ne faut jamais outrepasser. La guerre a été gagnée, oui. Mais le danger est toujours bien réel. Pensons au Rwanda, à la Bosnie et aujourd'hui à la Syrie. Et ce ne sont pas les seuls exemples.»

Banalisation des images

Le sujet ne manque évidemment pas de pertinence. D'autant qu'Agnieszka Holland estime qu'il importe de poser des questions au présent en faisant vivre au spectateur le drame comme s'il le vivait lui-même de l'intérieur. L'aspect politique et pédagogique est relégué ici au second plan. Devoir de mémoire? Très peu pour elle. Les émotions doivent être là, incarnées. Et ressenties. La cinéaste reconnaît que l'exercice est probablement encore plus périlleux à faire aujourd'hui.

«Le spectateur est maintenant habitué à toutes ces images, souligne-t-elle. Elles en sont presque devenues banales. Il faut donc réveiller la sensibilité du spectateur. Le cinéaste a ainsi le devoir de trouver un nouveau moyen d'évoquer le caractère insupportable de ces événements. Cela dit, ce n'est pas le théâtre de l'horreur qui m'intéresse; plutôt les relations entre des gens coincés dans une situation tragique.»

Contrairement à Roman Polanski, qui a tourné The Pianist en anglais, Agnieszka Holland a tenu à utiliser les langues polonaise et allemande. Une condition sine qua non auprès des producteurs, même si le scénario (écrit par le Canadien David F. Shamoon) a d'abord été rédigé dans la langue de Shakespeare.

C'est une question d'authenticité, précise la réalisatrice. Même si cette guerre date d'il y a longtemps, elle est inscrite dans les gènes des acteurs polonais et allemands. Cette tragédie est encore très présente dans notre mémoire collective. Les acteurs anglo-saxons, que j'aime beaucoup, auront tendance à théâtraliser davantage parce qu'ils ne ressentent pas cette douleur de l'intérieur. Peut-être Roman a-t-il un autre sens de la vérité. Visiblement, la présence d'acteurs anglo-saxons dans son histoire, qui lui était bien plus personnelle que ne peut l'être celle d'In Darkness pour moi, ne le gênait pas. De mon côté, il n'était pas envisageable de tourner ce film en anglais. Il a fallu que je tienne mon bout, mais je n'aurais tout simplement pas fait le film autrement.»

Trois fois aux Oscars

Agnieszka Holland vient d'obtenir sa troisième nomination aux Oscars. Vingt-sept ans après Amère récolte, sélectionné dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, et 21 ans après Europa Europa, cité dans la catégorie du meilleur scénario adapté, In Darkness se retrouve en lice dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, face à Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau.

«Vous savez, les Oscars ne changent rien à ma vie, dit-elle. Je suis flattée de cette nomination, bien sûr, et heureuse de la visibilité qu'aura le film grâce à cet honneur. Mais au-delà de ça...»

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In Darkness (Sous terre en version sous-titrée en français) prend l'affiche le 17 février.