Contrairement au personnage de Clara qu'elle interprète dans Nuit #1 et pour lequel elle est en nomination aux Jutra, Catherine De Léan n'est pas suicidaire. Elle aime la vie. Elle aime sa liberté et elle aime jouer par-dessus tout: peu importe la scène ou le support. Portrait d'une jeune actrice en pleine ascension.

Catherine De Léan raconte qu'en lisant le scénario du film Nuit #1 d'Anne Émond, elle a «eu la chienne», sueurs froides et nuits d'insomnie incluses. Et pour cause! Le film débute avec une scène de baise de 12 longues minutes: une scène crue, dure, où elle est filmée flambant nue avec son partenaire, l'acteur français Dimitri Storoge, les deux totalement livrés au regard indiscret de la caméra. Ce ne sont pas toutes les actrices d'ici qui auraient accepté un tel défi. Mais Catherine De Léan n'est pas tout à fait comme les autres actrices.

«J'ai eu la chienne, c'est vrai, répète-t-elle, mais j'ai aussi trouvé que c'était indispensable et urgent d'accepter le rôle, pour l'audace de l'écriture d'Anne et pour l'immense défi que ça représentait pour moi. Avec ce genre de projet, c'est quitte ou double. Soit tu te casses la gueule, soit tu tapes dans le mille.»

Par mesure de prudence, Catherine De Léan a quand même demandé le plus candidement du monde à son agent: est-ce que ça peut ruiner ma carrière? L'agent l'a rassurée, l'encourageant à foncer. Et c'est ce que l'actrice de 32 ans a fait. Elle a foncé sans poser de questions.

Mais dans le café scandinave où elle me donne rendez-vous, Nuit #1, qui a été tourné en novembre 2010, est déjà loin. Depuis, l'actrice, en nomination aux Jutra et lauréate d'un prix d'interprétation au Festival de Pau en France, n'a pratiquement pas travaillé, sauf au théâtre. «Ce n'est pas que je n'ai pas eu d'offres. J'en ai eu, mais c'était pour des pubs ou des rôles poches de pitounes à genoux devant des gars avec des guns. Dans ce temps-là, je préfère faire des petits shows comme Le cabaret de la femme jument qu'on organise demain soir à la Sala Rossa, quitte à aller poser moi-même les affiches. Ce que je vais d'ailleurs faire sans faute cet après-midi dans mon quartier.»

Rien d'une nunuche

Catherine De Léan est étonnante. En la rencontrant pour la première fois, on est frappé par son joli visage d'ingénue, fraîche et printanière. Le timbre un peu enfantin de sa voix renforce l'impression de jeunesse et de candeur. On pense avoir affaire à une jeune femme un peu fofolle, légère, enjouée et pas très structurée. Et on se trompe royalement! Catherine De Léan n'a rien d'une nunuche. C'était la petite bollée au collège Stanislas qui apprenait l'allemand comme une malade et qui le parle tellement bien qu'elle s'en va tourner un film en allemand en mars. Au collège Jean-de-Brébeuf, au lieu de prendre ça mollo, elle choisit les sciences pures avant d'aller faire un bac en études françaises à l'UdeM. Tout cela, au cas où son rêve ne se réaliserait pas.

Ce rêve, elle en entretient la flamme depuis longtemps. Plus précisément depuis ce soir où, à l'âge de 14 ans,  elle va voir La Locandiera au TNM avec son père, chercheur scientifique universitaire. Assise dans la salle, fascinée par le jeu de Sylvie Drapeau, Catherine De Léan a vécu un véritable coup de foudre. «J'ai su sans l'ombre d'un doute, ce soir-là, que c'était ce que je voulais faire dans la vie: jouer sur une scène au théâtre.»

Trois ans de suite, elle fera ses auditions pour les écoles de théâtre avant de finalement être acceptée au Conservatoire d'art dramatique de Montréal en 2002. À sa sortie, ce n'est pas le théâtre qui l'appelle, mais le cinéma. Elle obtient un premier rôle aux côtés de Gilbert Sicotte dans La vie secrète des gens heureux où elle joue avec finesse et intensité le rôle d'une escorte. D'autres films, comme Le banquet, La capture, 2 fois une femme, suivront: «La caméra m'a vite aimée et choisie, mais pour des rôles sombres de fuckée, de mère de famille monoparentale droguée ou de fille suicidaire comme la Clara de Nuit #1

Je lui demande jusqu'à quel point elle s'identifie à Clara, jeune prof trentenaire qui comble son vide existentiel tous les soirs avec des partenaires sexuels différents, métaphore pour une génération anesthésiée par un trop-plein de liberté. Je m'attends à ce que Catherine De Léan affirme qu'elle se projette entièrement dans les angoisses de Clara. Erreur. Clara et Catherine, c'est le jour et la nuit.

«Je comprends le constat d'Anne Émond. Les possibilités aujourd'hui sont tellement vastes qu'on peut en perdre ses repères. Mais ma vision à moi, c'est d'apprécier la chance que nous avons, nous les femmes aujourd'hui, à côté de ce que vivait ma grand-mère ou même ma mère. Moi, cette liberté-là et toutes ses possibilités, ça me donne bien plus envie de vivre que de me tuer. Personnellement, je trouve qu'on ne peut pas toujours tout dénoncer et dire que la Terre va exploser. On peut aussi essayer de faire de quoi et tenter d'améliorer les choses.»

Soirée festive post-féministe

Deux jours avant notre rencontre, Catherine De Léan avait été invitée à parler aux élèves de 3e et 4e année de son ancienne école primaire à L'Île-Perrot. Elle y est allée un peu à reculons, craignant de faire bâiller d'ennui la génération Ritalin-Nintendo. Le contraire s'est produit. «Ils m'ont écoutée avec de grands yeux allumés et remplis de curiosité. Ça m'a donné espoir pour la suite du monde. On vit tellement dans un monde cynique et désabusé. Ces enfants-là ne savent pas à quel point ils m'ont fait du bien.»

C'est dans cet esprit positif et pas revanchard que Catherine De Léan a participé à la création du Cabaret de la femme jument et qu'elle revient animer pour la troisième année, cette soirée festive post-féministe.

«On est parties du fait que le mot féministe pue. Non, mais, c'est vrai. Dès que tu prononces le mot, les gens se braquent. C'est un mot qui dégage une odeur de brassière brûlée et une aura de femme à moustache. Alors on a décidé de parler de la réalité post-féministe de manière ludique et non victimisante. Les luttes, on ne les a pas menées, mais on veut s'en souvenir. En même temps, on est conscientes qu'au Québec, même si tout n'est pas réglé, le sort des femmes est enviable, pas mal plus que dans bien des pays, en tout cas. C'est pour ça qu'au lieu de chialer ou de se plaindre, on a envie de célébrer ça. De célébrer notre liberté et toutes les possibilités qui s'offrent à nous.»

Pas présente aux Jutra

Le soir des Jutra, Catherine De Léan ne sera pas dans la salle malgré sa nomination dans la catégorie meilleure actrice pour son rôle dans Nuit #1. Elle sera sur les planches à Paris et remplacera une actrice du spectacle Caligula Remix. Ça la désole un peu, mais en même temps, elle ne fait pas ce métier pour les prix. Elle le fait parce qu'elle considère que son rôle dans la vie, sa fonction sociale et sa raison d'être, c'est de jouer.

Peu de temps après, elle filera à Berlin, une ville dont elle est tombée amoureuse et où elle rêvait de tourner. Elle a préparé son coup pendant quatre ans, peaufinant son allemand en cherchant un agent. Ses efforts ont porté leurs fruits. Elle a obtenu un petit rôle dans une comédie grand public réalisée par Matthias Schweighöfer, un acteur très populaire. L'an prochain, elle reviendra au théâtre à Montréal avec des rôles importants qu'elle ne peut révéler pour l'instant, mais qui la remplissent de fierté. En attendant, il y a Le cabaret de la femme jument à animer. Et plus important encore: des affiches à coller sur tous les poteaux de son quartier.